Un tournoi à Romans en 1484
A l’occasion du mariage d’Antoine de Montchenu, bailli du Viennois et du Valentinois, avec Louise de Clermont, fille du baron et vicomte Antoine de Clermont, un tournoi a eu lieu à Romans-sur-Isère, aux fêtes de la Pentecôte, les 6, 7 et 8 juin 1484.
Cette fête chevaleresque se déroula sur la Grande Place (actuelle Place Maurice Faure). C’était, à cette époque, la seule place qu’il y eut à Romans-sur-Isère. Elle était au centre de la ville, bien abritée et assez spacieuse, car la rangée de maisons adossées à l’église Saint-Barnard n’existait pas. Ce qui donnait à cette arène une longueur de 100 mètres et une largeur de 30 mètres. Lorsqu’on célébrait des jeux chevaleresques et des fêtes populaires, on adossait contre l’église les estrades, gradins et échafauds qui étaient construits sur place. Les trois autres côtés étaient bordés par des édifices particuliers dont les chambres, les balcons et les croisées devenaient des loges pour de nombreux spectateurs.
Des joutes avaient déjà eu lieu dans ce champ clos : le 21 janvier 1428, il fut alloué à Durand Reynier, un des consuls, 20 sols 1/2 tournois, pour préparer des lices où la noblesse devait combattre à cheval avec des lances ; le 10 juillet 1430, nouvelle dépense par ordre du gouverneur de la province pour le tournoi donné à l’occasion de la réunion des Etats Généraux ; le 1er mai 1431, dépense de 5 florins pour les frais nécessités par certaines joutes, etc.
L’annonce du tournoi fut publiée en ces termes dans tout le Dauphiné et dans les provinces voisines : “A la louange de Dieu, la Noblesse qui voudra se trouver dans la ville de Romans, les fêtes de la Pentecôte prochaines, sera reçu dans un tournoi qui se célèbrera à la gloire de Louise de Clermont par les soins d’Antoine de Montchenu. On y combattra à lance mornée, avec pouvoir d’en changer jusqu’à ce que l’on soit abbatu. L’épée n’y servira que d’ornement pour ne pas souiller par le sang une fête qui ne doit être remplie que de plaisirs. On tirera au sort pour savoir quels seront les tenants et les assaillants. On ne promet d’autre prime que l’honneur d’avoir vaincu.”
Les tenants et assaillants de ce tournoi étaient au nombre de 84, parmi lesquels Antoine de Montchenu, dont on célébrait le mariage, Christophe Ademar, baron de La Garde, Pierre Coste, officier de la Monnaie de Romans-sur-Isère, Jean de Lattier, maître d’hôtel du roi, Charles d’Hostung, seigneur de la Baume, Antoine de Lestang, futur gentilhomme de François Ier, Pierre de Manissy, marchand romanais, Guigues d’Orgeoise, gouverneur du château de Voiron, Aymar de Grolée, baron de Bressieu, Laurent de Beaumont, seigneur de Saint-Quentin et Philibert de Clermont, seigneur de Monteson.
Le baron de Clermont, celui de Sassenage, les seigneurs de Chaste et d’Uriage étaient nommés pour juges du camp et se rendirent jusqu’aux échaffaux préparés pour eux. Plusieurs dames y avaient déjà pris place. Lorsque plusieurs trompettes et tambours eurent retentit, le tournoi commença.
Les tenants parurent tous ombragés par des plumes blanches et ceints par des écharpes de la même couleur. Les armoiries de France, d’azur à trois fleurs d’or étaient peintes sur leur écu. Les assaillants avaient sur leur casque des plumes de diverses couleurs. Un croissant était peint sur leur écu et ils avaient des ceintures bigarrées. Tous entrèrent dans la place de divers côtés. Le fils du baron de Clermont était à la tête des tenants et Montchenu à celle des assaillants.
Les barrières ayant été ouvertes, six des tenants et six des assaillants y entrèrent et commencèrent à jouter. Trois des assaillants furent abattus de leur monture et il n’y en eut qu’un du côté des autres. Ces douze s’étant retirés, il en entra encore six, de chaque partie, qui firent trois courses sans s’ébranler, ensuite il y en eut deux de chaque partie qui tombèrent. Douze autres leur succédèrent. Laurent de Beaumont et Philibert de Clermont en étaient et, quand ils se furent reconnus, ils se choisirent pour le but de leurs coups. Ils ramassèrent toute leur force et ils se heurtèrent avec une violence sans égale. Ils rompirent trois lances et, voyant qu’il était temps de finir parce que trois des assaillants avaient été abattus, ils sortirent des barrières pour y laisser entrer douze chevaliers nouveaux. De ceux-ci, un des tenants seulement fut abattu et, la nuit s’approchant, il fallut renvoyer les joutes pour le jour suivant.
Toute la nuit, on entendit les trompettes et les tambours et, le lendemain, on continua les courses de la manière qu’elles avaient été commencées.
Au terme de cette deuxième journée, on décida de faire de petits combats à l’épée émoussée par ceux qui étaient restés à cheval. Celui qui ferait des exploits de plus grande valeur serait déclaré vainqueur.
Le lendemain, les vainqueurs vinrent dans la place avec un désir égal. Antoine de Montchenu, Aymar de Grolée, Laurent de Beaumont et Philibert de Clermont, entre autres, brulaient d’impatience d’en venir aux mains. Les barrières étant ouvertes, ils firent voir leurs épées nues. Comme cette sorte de combat ne pouvait pas permettre aux chevaliers de se renverser les uns les autres, ni de donner aucune marque certaine d’avoir vaincu, les juges et les spectateurs ne purent connaître qui était le plus méritant et l’on fut fort en peine de décider lequel de ces braves combattants devait être déclaré vainqueur.
Finalement, Antoine de Montchenu fut déclaré vainqueur et l’on vit bien que cette victoire fut obtenue à cause que la fête se faisait pour ses noces.
Le jour qui suivit les joutes et après avoir dîné magnifiquement dans Romans-sur-Isère, Montchenu amena sa femme dans son château où il fut suivi d’une partie des chevaliers qui avaient combattu.
Sources : Archives municipales de Romans-sur-Isère ; Un tournoi à Romans en 1484, Ulysse Chevalier, 1888