La loi de séparation des Eglises et de l’Etat
A Romans-sur-Isère comme ailleurs, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat adoptée le 9 décembre 1905 a suscité des résistances.
Dès la promulgation de la loi, les agents de l’administration des domaines doivent procéder à l’inventaire descriptif et estimatif des biens mobiliers et immobiliers des établissements du culte contradictoirement avec les représentants légaux des dits établissements.
Et cela ne se fera pas sans peine comme nous le rapporte l’architecte-voyer, chargé de cette délicate mission en compagnie du conducteur de travaux de la ville : “Nous nous sommes présentés, vers une heure du soir, au domicile de Jules Loubet, curé de l’église de Saint-Barnard. Le domestique qui est venu nous ouvrir nous a déclaré que son maître était absent et ne rentrerait que le soir à une heure indéterminée. Nous nous sommes rendus ensuite chez Paul Guibaud, curé de l’église Saint-Nicolas et une réponse analogue nous a été faite par la domesticité. Nous avons dès lors ajourné nos démarches au lendemain matin. Ce jour, nous avons de nouveau frappé, vers huit heures, à la porte de Jules Loubet qui nous a reçus. Après avoir exposé le but de notre visite, M. le curé nous a répondu qu’il ne pouvait nous montrer l’inventaire des meubles et objets d’art contenus dans son église parce que le dit inventaire était chez le trésorier, lui-même absent depuis près d’un mois pour suivre un traitement sur le littoral méditerranéen. Sur notre désir de procéder nous-mêmes, séance tenante, à un inventaire à la date de ce jour, Jules Loubet nous a exposé qu’il ne pouvait nous ouvrir les pièces et meubles contenant le mobilier sans y être, au préalable, autorisé par le Conseil. Quant à Paul Guibaud, curé de Saint-Nicolas, que nous n’avons pas trouvé chez lui et que nous sommes allés rejoindre dans sa sacristie, il nous a déclaré qu’il n’avait rien à nous montrer et qu’il allait en référer immédiatement à Monseigneur l’évêque, son chef immédiat.”
Le lendemain, l’architecte-voyer y retourne seul : “Je me suis présenté, à deux heures du soir, chez Jules Loubet, curé de Saint-Barnard, et j’ai trouvé porte close. Je me suis dès lors rendu chez M. Perrier, vicaire de la paroisse, lequel m’a répondu que M. le curé était en voyage depuis ce matin. Je suis allé ensuite chez Paul Guibaud, curé de Saint-Nicolas. Sa domestique m’a dit qu’il visitait des malades et qu’elle ne savait pas à quelle heure il rentrerait.”
Et deux jours plus tard : “J’ai vu ce matin, chez lui, Paul Guibaud, curé de Saint-Nicolas, pour l’entretenir de nouveau de l’inventaire du mobilier et objets d’art de son église dont j’étais chargé. Cet abbé m’a dit avoir reçu des instructions de son chef de service pour ne se prêter en aucune façon à cette opération.” Les documents d’archives disponibles ne nous permettent pas de savoir combien de visites aux curés de Saint-Barnard et Saint-Nicolas ont été nécessaires à notre architecte-voyer pour réaliser ces inventaires…
Selon la loi, les réunions pour la célébration d’un culte ne peuvent désormais avoir lieu qu’après une déclaration faite dans les formes et indiquant le local dans lequel elles seront tenues. Ainsi, le 10 décembre 1906, la Commission administrative de l’hôpital-hospice déclare que “des réunions publiques pour la célébration de l’exercice du culte catholique seront tenues jusqu’au 31 décembre 1907 dans la chapelle de l’hôpital, tous les jours, pour la célébration de la messe. les dimanches et fêtes pour la célébration de la messe et des vêpres, ainsi que pour la fête de Noël dans la nuit du 24 au 25 décembre.”
Mais le même mois, de nombreuses infractions sont constatées et des procès-verbaux sont dressés par les services de police de la ville. Citons ce rapport du garde-champêtre daté du 17 décembre : “J’ai l’honneur de rendre compte à Monsieur le Maire que ce matin, à 7h35, m’étant rendu à l’église Saint-Nicolas, j’ai constaté que le public y était librement admis et que Paul Guibaud, curé de la paroisse, revêtu d’habits sacerdotaux, célébrait une messe en présence de vingt cinq personnes environ. Le dit curé m’a prié d’insérer dans mon rapport que la cérémonie à laquelle je venais d’assister était un service funèbre. Des renseignements recueillis, il résulte cet ecclésiastique n’a fait aucune déclaration en vue de cette réunion.”
La loi de séparation des Eglises et de l’Etat a aussi donné lieu à des événements peu connus mais pourtant fréquents : des personnes revendiquent des objets mobiliers compris dans l’inventaire des lieux de culte ou demandent la restitution des sommes versées par leur famille.
Ainsi, le 16 septembre 1909, Anne Marie Riollé, rentière, impasse Cogne, expose “qu’un chemin de croix, des vêtements d’enfants de choeur, des tentures mortuaires et divers articles de lingerie compris dans l’inventaire de l’église Saint-Nicolas sont sa propriété et qu’elle les a achetés et payés en son nom personnel.” Le lendemain, Caroline Giraud, rentière, demeurant quartier de Saint-Yves, expose “qu’elle a acheté de ses deniers une statue du Sacré-Coeur, une statue de Sainte-Monique ainsi qu’une statue de Saint-Antoine de Padoue se trouvant dans l’inventaire de la même église”, et Gustave Vincent, fabricant de bronzes, côte des Cordeliers, revendique “un lustre à quinze lumières dans le même inventaire”. Le 15 novembre 1909, Emilien du Port Roux, demeurant place de la République (aujourd’hui place Maurice Faure), revendique “divers objets mobiliers compris dans l’inventaire des biens de l’église paroissiale de Saint-Barnard”, et le 30 du même mois, J. Girard, rue Musselon, demande “la restitution de sommes qui auraient été versées à l’église de Saint-Maurice par sa mère.”
Toutes ces demandes seront rejetées quelques semaines plus tard par le Préfet du département de la Drôme.
Sources : Archives municipales de Romans-sur-Isère, Série P – Cultes – 1 P 3 – Séparation de l’église et de l’état – 1906-1908