Le monastère de Sainte-Ursule de Romans
Elles n’étaient alors que cinq filles qui travaillaient beaucoup, mangeaient peu, étaient mal vêtues, leurs habits rompus et gâtés de chaux, et les pieds à demi nus. Elles rougissaient de honte, passant et repassant devant le monde en si pauvre équipage. Le maçon fut si touché de leurs bons exemples qu’il en devint très pieux et dès qu’il eut bâti la chapelle, il se fit religieux Récollet.
La pauvreté des soeurs continuant, elles furent contraintes de faire des quêtes dans la ville et dans les villages voisins, et Dieu montra après qu’il ne les abandonnait pas. Une fois qu’elles n’avaient d’argent que pour acheter un setier de blé d’une dame qui ne leur avait jamais fait de bien et n’était pas d’humeur à cela, elle leur donna un setier de blé en aumône avec celui qu’elle leur vendit, et ces deux setiers furent si bien bénis qu’ils durèrent beaucoup plus longtemps que l’on n’espérait. Il arriva dans une autre rencontre que, manquant de bois à la maison, un homme inconnu déchargea une charretée de bois dans la basse-cour et s’en alla sans rien dire.
Comme elles n’avaient pas les moyens de prendre une fille pour les servir, une vint s’offrir à elles qui, bien loin de leur demander salaire, donna quelque chose pour son entretien.
L’année 1618, elles commencèrent à vivre plus commodément et chacun venait les trouver pour apprendre à se bien confesser. Enfin, c’était une merveille de voir avec combien de zèle elles travaillaient pour le salut du prochain.
Cette communauté étant bien établie et assez nombreuse, quelques personnes considérables désirant ériger une pareille congrégation à la Côte-Saint-André, sous le même diocèse de Romans, deux soeurs partirent pour cet effet le 4 octobre 1623 et, cinq ans après, ce lieu fut affligé de peste. Leurs soeurs de Romans, toutes mûes de charité, chargèrent des chevaux de toutes les provisions qu’elles crurent leur être nécessaires pendant ce temps de calamité et leur firent offre avec toute la cordialité possible, de tout ce qui dépendait d’elles pour les assister, ce qui obligea tout à fait les soeurs de la Côte-Saint-André et les porta à leur rendre la pareille l’année suivante, que le fléau fut sur la ville de Romans. Elle les prièrent d’envoyer chez elles celles qui voudraient se retirer du péril mais le courage des soeurs fut tel que la Supérieure ayant accepté l’offre pour trois ou quatre jeunes filles, elles ne voulurent jamais sortir. Dieu permit qu’une d’elles fut attaquée du mal. Deux des autres se présentèrent soudain pour la servir et toutes les autres firent un voeu pour sa guérison et l’obtinrent, sans que pas une autre en fut atteinte. Après, elles étendirent leur charité sur la ville, désolée à tel point que l’on tient qu’elle perdit la moitié de ses habitants par cette contagion. Elles commencèrent par les prières de quarante heures, qui furent suivies d’une quarantaine de jeûne et d’autres rigoureuses pénitences. Elles allèrent de maison en maison visiter et secourir les malades, elles exhortèrent les moribonds au grand passage de l’éternité, et il n’est en général aucun soin qu’elles n’apportassent, tant pour le salut et la guérison des vivants que pour la sépulture des morts. Leur confesseur, nommé M. Richard, ne les quitta point et prit la peine lui-même de leur servir de proviseur à ses frais et dépens.
La peste cessa toute une année, puis elle recommença à l’étonnement de toute la population. Les soeurs de Sainte-Ursule avaient une pensionnaire de douze à treize ans et orpheline, nommée Denise Dideron. Ses parents étant morts de la peste, elle avait fait fermer dans sa maison les plus précieux de ses meubles et même la somme de 1 250 livres, 2 sols et 6 deniers d’argent comptant, comme attesté le 4 décembre 1629 par le sieur juge de la ville de Romans. La petite Denise tomba aussi malade avec tous les signes de peste, ce qui surpris fort la communauté. Leur maison fut fermée et la fille, se sentant toujours plus mal, fit voeu de prendre l’habit des soeurs de cette maison si Dieu lui rendait la santé. Ce même jour, la peste qui avait paru se dissipa mais comme elle avait encore une ardente fièvre, elle demanda l’habit de la congrégation, on l’en revêtit et, à l’instant, elle commença à se mieux porter et persévéra dans la religion sous le nom de soeur Denise de sainte Agnès. Par son testament, tous ses biens furent donnés au monastère.
Le 2 mars 1634, le monastère reçu la somme de 36 livres donnée par testament par feu M. Noyerat, chanoine en la vénérable église de Saint-Barnard, à Jeanne Chapuis dite soeur Jeanne de saint Alexis, sa nièce, par acte reçu par maître Guillaud, notaire.
Monseigneur Pierre de Villars, archevêque de Vienne, prit résolution d’établir en monastère de religieuses toutes les maisons de Sainte-Ursule de son diocèse et le leur fit savoir. Chacune s’y disposa avec soumission. Étant venu à Romans, il vit ces bonnes filles et leur proposa son dessein, auquel elles acquiescèrent sur l’heure.
Il leur donna l’habit de religieuse le dimanche suivant qui était le 22 avril de l’année 1635. Elles étaient quatorze en nombre, onze soeurs professes et trois novices : Angèle Michel dite soeur Angèle de saint Joseph, native de Romans et âgée de quarante-trois ans, Catherine Motin dite soeur Catherine de Jésus, native de Romans et âgée de quarante-cinq ans, Jeanne Chapuis dite soeur Jeanne de saint Alexis, native de Grenoble et âgée de trente-deux ans, Philiberte Reymond Merlin dite soeur Philiberte de saint Esprit, native de Romans et âgée de trente-quatre ans, Anne de Juvent dite soeur Anne du saint Sacrement, native de Romans, Silvie Marion dite soeur Sylvie de saint Paul, native de Vinay et âgée de vingt-quatre ans, Anne des Rues dite soeur Anne de sainte Marie, native de Romans et âgée de trente-deux ans, Hélène Chièze dite soeur Hélène de saint Jean Baptiste, native de Romans et âgée de trente-cinq ans, Françoise des Blans dite soeur Françoise de la sainte Trinité, native de la Côte-Saint-André et âgée de vingt-deux ans, Susane Malbruny dite soeur Suzanne de Jésus, native de Romans et âgée de trente-cinq ans, Marie Rosset dite soeur Marie de la Croix, native de Grenoble et âgée de vingt-et-un ans, Denize Dideron dite soeur Denise de sainte Agnès, native de Romans et âgée de seize ans, Magdeleine Goujon dite soeur Madeleine de saint Bernard, native de Romans et âgée de dix-sept ans, et Toinette Drevet dite soeur Toinette de sainte Colombe, native de Romans et âgée de dix-huit ans.
La cérémonie achevée, Monseigneur l’archevêque entra dans la maison pour en faire sortir le peuple et y mettre la clôture, donnant les clefs à la Mère Alexandre Faure, religieuse Ursuline de Saint-Marcellin, venue expressément pour instituer ce nouveau monastère.
Durant leur noviciat, il y eut un régiment en garnison dans la ville. Un des premiers officiers venant au parloir visiter une des novices, fut encouragé par elle à se confesser et communier, et à faire faire de même à tous les soldats. Il le lui promit et l’exécuta, et ainsi tout ce régiment se mit en bon état, les soldats s’y portant de si bonne volonté qu’ils se trouvaient de grand matin dans la chapelle des Ursulines pour être catéchisés, de sorte qu’il fallait que depuis cinq heures du matin jusqu’à huit heures du soir il y eut une religieuse à la grille pour les enseigner, l’une succédant à l’autre sans intervalle, sauf durant la sainte messe. Plusieurs de ces gens-là qui étaient hérétiques se convertirent, et grand nombre qui menaient une vie perdue firent pénitence. Après que les bonnes religieuses les avaient engagés à repentance, elles les adressaient à des religieux pour les confesser, ou bien elles faisaient venir des confesseurs en leur chapelle, qui les confessaient dans la chaleur de leur dévotion.
Elles faisaient aussi la charité corporelle aux nécessiteux, leur distribuaient quantité de chapelets, et elles leur firent prendre à tous le scapulaire de Notre Dame du Mont-Carmel. Ces soldats ayant tant d’expérience du soin des Ursulines pour leur salut, en étaient fort touchés et reconnaissants. Toute la ville s’en ressentit parce que les soldats devenaient si traitables que leurs hôtes s’en louaient et donnaient mille bénédictions aux ferventes religieuses qui étaient cause de ce bien.
Ce régiment fut presque tout défait en la bataille qui se donna à Valence vers l’année 1637. Quelques-uns de ceux qui échappèrent, repassant par la ville, allèrent remercier les Ursulines, disant hautement que sans elles, leurs compagnons auraient été éternellement perdus et qu’ils leur devaient leur salut. L’un d’eux leur raconta qu’ayant été pris par l’ennemi, on le dépouilla de tous ses habits, ne lui laissant rien sur lui que le scapulaire qu’il avait reçu d’elles, et qu’il crut que pour le respect que les espagnols ont envers la Sainte Vierge, ils ne lui avaient point fait de mal, et qu’il se réfugia tout nu contre une motte de terre, étant tout triste et abattu, et qu’en même temps, un coup de canon fondit à ses pieds sans lui faire autre chose que de l’enterrer dans du sable, d’où il se tira facilement.
Les règles de la province de Lyon portaient expressément que chaque prétendante ferait deux années de noviciat avant que d’être admise à la profession mais Monseigneur Pierre de Villars jugea qu’il devait et pouvait user d’indulgence envers des filles qui, depuis leur entrée dans la congrégation, marquaient tant de ferveur et de constance. Il leur envoya le Révérend Père Bartoly, religieux Minime, qui les reçut toutes quatorze à la profession le 28 avril 1636.
Ainsi, cette maison reçut son parfait établissement.
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