La tour Jacquemart
Au XIVè siècle, les romanais, à l’instar des grandes villes de France, voulurent avoir une horloge publique et les consuls résolurent de faire élever la tour de la forteresse pour y placer un mécanisne d’horlogerie avec cadran et sonnerie.
En conséquence, ils s’adressèrent à un habile artisan de Fribourg, en Suisse, Pierre Cudrifin, qui vint à Romans-sur-Isère pour s’entendre avec les autorités et qui se chargea du travail pour le prix de 500 florins d’or, soit environ 65 000 € actuels.
L’oeuvre fut rapidement menée à bonne fin; le mécanisme fut placé sur la tour et, pour sonner les heures, on plaça un automate en bois armé d’un marteau de fer. A cette époque, on appelait par dérision Jacques Bonhomme le paysan qui supportait les corvées sans se plaindre. L’automate fidèle à la mission qui lui était confiée fut baptisé Jacques et on ajouta Marteau à cause de l’instrument dont il était muni. Jacques-Marteau est devenu depuis par corruption Jacquemart.
Ce fut au milieu de la satisfaction et de la curiosité générales que le consciencieux bonhomme de bois fit résonner sa cloche pour la première fois, le 2 mars 1429.
Mais les romanais ne tardèrent pas à voir le revers de la médaille : les consuls avaient voulu faire les choses grandement et sans regarder à la dépense, et Pierre Cudrifin ne put obtenir le paiement de la somme convenue. Il dut avoir recours à la procédure, mais en vain. Ce fut son hériter qui toucha après sa mort les 500 florins.
Il en donna quittance en 1431 à Antoine de Manissy, drapier et consul, dans la boutique duquel l’acte fut passé et signé. Pour couvrir la dépense, les habitants durent avoir recours à un octroi sur les vins et les denrées.
Dans le début, la tour de l’horloge portait sur ses faces les armes de France, du Dauphiné, du Chapitre et de la Ville. Elle ne possédait qu’un seul cadran.
En l’année 1757, Quinson, artiste-peintre, fut chargé par les consuls de peindre trois autres cadrans ainsi qu’une montre lunaire; plus tard, la peinture ayant disparu, les heures furent indiquées en chiffres romains sur des plaques en tôle émaillée; enfin, en 1882, les anciens cadrans furent détruits.
On perça alors les quatre faces de la tour pour placer les nouveaux cadrans en verre dépoli et transparent qui étaient éclairés la nuit chacun par deux becs de gaz.
La flèche a subi également de nombreuses transformations. Pendant les guerres de religion, les soldats s’étant amusés, paraît-il, à percer la toiture à coups d’arquebuse, il fallut la réparer; nouvelles réfections en 1775, en 1812, en 1840, en 1877, et enfin en 1902 encore, toute la zinguerie a dû être refaite.
La flèche de Jacquemart, qui est la pointe la plus élevée de la ville, a toujours attiré l’attention des gouvernements, et elle a suivi les péripéties de notre histoire. Elle était ornée, dès sa création, d’une Fleur de Lis; en 1792, sur la réquisition du Procureur de la Commune, on fit enlever cet emblème séditieux par un grenadier de la garnison qui reçut, pour ce travail périlleux, 158 livres d’étrennes, et on la remplaça par un bonnet phrygien.
Avec l’Empire, l’Aigle qui avait volé de clocher en clocher, n’avait pas oublié Jacquemart; il prit la place du bonnet phrygien, mais il ne resta pas longtemps car la Restauration ramena la Fleur de Lis.
Enfin, sous Louis-Philippe, on plaça une boule en cuivre doré.
Aujourd’hui, la flèche est simplement décorée d’un paratonnerre et d’une girouette en forme de lyre couchée.
Quand on pénètre dans la tour, on remarque tout d’abord les vestiges d’une ancienne porte de la première enceinte de la ville; on distingue très bien la voûte du portique et de chaque côté les rainures de la herse.
La surface du rez-de-chaussée est très réduite à cause d’un puissant contremur de deux mètres d’épaisseur qu’on a adossé contre le mur sud pour en assurer la solidité.
Dans l’angle à droite de la porte on trouve une étroite montée d’escaliers en bois de 97 marches qui se continue en colimaçon jusqu’à l’étage où se trouve le mécanisme. Puis, on trouve une échelle de meunier étroite, à pente très raide. Il faut ‘encore monter 23 marches et l’on gagne difficilement et en se courbant, une trappe qui ouvre sur le campanile. Ce dernier est de forme exagonale mesurant 1m70 de largeur. On jouit de là d’un coup d’oeil splendide sur la ville et les environs.
La grosse cloche de Jacquemart est placée à 2 mètres au-dessus de l’étage. Elle mesure 1m30 de hauteur, 1m56 de diamètre et 70 millimètres d’épaisseur; elle pèse 46 quintaux.
La date (1545) que porte cette cloche indique que celle fournie par Cudrifin a été, à cette date, refondue pour une cause qu’on ignore.
Dans les archives de Romans-sur-Isère, on trouve un acte du 10 janvier 1544, par lequel les consuls de la ville Guilllaume Forez, Guillemin Bergier et Pierre Morel ont traité avec Nicolas du Bois, fondeur de Neuchâtel, pour la refonte de cette cloche. Il y est expliqué que la nouvelle pièce sera pour le moins de la même grandeur que la précédente. L’acte ajoute que “du Bois sera tenu de la descendre et remonter et fournir de tout atraict à ses propres cout et despents, si ce n’est du métail nécessaire que la cille lui fournira; et pour ses poynes et labeurs, les consuls luy payeront cinquante escus d’or au soleil. En livrant son travail à carême prenant, du Bois recevra 25 escus et le restant a la Saint-Martin.”
La ville traita avec un sieur Ronin pour l’achat du métal, à raison de dix-huit livres par quintal; elle fournit égalemenl le local pour l’opération de la fonte qui eut lieu dans une dépendance de l’Aumône de Sainte-Foy, près de l’horloge.
Comme il n’était pas possible de descendre la cloche par l’intérieur de la tour, on dut scier une des colonnettes du campanile pour livrer le passage nécessaire; on la replaça après l’achèvement du travail.
Cette cloche est placée d’une manière fixe; cependant elle possède un battant anciennement destiné aux sonneries pour les incendies et aussi pour les jours de fêtes; ce battant très lourd était mis en mouvement par un levier qu’on faisait mouvoir avec le pied.
A côté de la grosse cloche et sur un piédestal adossé contre la face sud du campanile, se dresse majestueusement l’automate qui est presque au double de grandeur naturelle.
D’abord sculpté sur bois, il ne tarda pas à subir les outrages du temps; aussi, à diverses époques, on le recouvrit de fer-blanc. Il est mobile sur un pivot, ce qui permet au marteau qu’il tient dans les mains d’atteindre la cloche, tandis que la tête se meut en sens inverse.
Vu de près, le bonhomme est affreux et grossièrement charpenté; les pieds disparaissent dans le socle jusqu’aux mollets et la tête est complètement séparée du tronc.
Sources : Archives municipales de Romans-sur-Isère – Ulysse Chevalier, Fragments historiques, 1900 ; L’Almanach du Bonhomme Jacquemart