Jean Louis Viennois, docteur en médecine, accusé d’être l’ennemi des ouvriers
Jean Louis Viennois est né le 13 septembre 1791, à Peyrins, de Jean Amable, laboureur puis propriétaire, et Anne Victoire Robin.
Le docteur Viennois débute sa carrière par la chirurgie militaire et exerce ses fonctions au siège de Berg-op-Zoom, aux Pays-Bas, en 1814. Les soins qu’il donne aux blessés français et aux blessés anglais qui y furent fait prisonniers, lui valurent les rapports les plus honorables du général français et l’estime du général anglais.
Au retour de la paix, il vient exercer à Romans où il épouse, le 14 septembre 1816, Marie Alexandrine Pascal, fille de Alexandre et Gabrielle Claudine Julhiet, tante de Charles François Bonaventure Julhiet, maire de Romans en 1830 puis de 1840 à 1848.
Il est, pendant de longues années, premier médecin à l’hospice et y pratique plusieurs opérations remarquables. Il est également vaccinateur du canton de Romans pendant plus de trente ans et contribue efficacement à l’extinction du fléau de la petite vérole dans nos campagnes.
Membre de la Société d’Agriculture de la Drôme, il préside plusieurs années le Comice agricole des cantons de Romans et Bourg-de-Péage réunis.
Du 22 au 25 février 1848, le peuple de Paris se soulève et parvient à prendre le contrôle de la capitale. Louis-Philippe, refusant de faire tirer sur les parisiens, est contraint d’abdiquer en faveur de son petit-fils, Philippe d’Orléans, le 24 février. Le même jour, la Seconde République est proclamée et un gouvernement provisoire est mis en place.
Localement, de nombreuses luttes d’intérêt et de pouvoir prennent place.
A Romans, le Conseil municipal vote une adresse d’adhésion au gouvernement provisoire, le 3 mars. Puis, le 12 mars, un arrêté du commissaire du gouvernement provisoire dans le département de la Drôme, nomme le citoyen Maurice Rochas maire de Romans.
Le docteur Viennois ne peut assister à ces luttes politiques sans y prendre une part active, à ses dépens.
Le 21 avril 1848, il se présente devant Pierre Grillières, commissaire de police de la ville de Romans, disant qu’il avait été informé que plusieurs personnes avaient répandu le bruit qu’il s’était présenté, un jour, chez Mme Lombard, rentière, et qu’il avait engagé cette dame à renvoyer les ouvriers qu’elle occupe, en lui disant que par le temps qui court, on ne devait pas faire travailler.
M. Viennois ajoute que les propos qu’on lui attribue ayant produit une grande irritation parmi la population ouvrière de la ville et étant de nature à lui occasionner des violences, il requérait d’ouvrir une enquête à l’effet de découvrir les auteurs de ces bruits calomnieux.
En conséquence, le commissaire de police se transporte, le même jour, au domicile de Mme Lombard et lui demande si elle avait tenu les propos dont se plaignait M. Viennois. Elle répond par la négative et le commissaire se rend alors dans une pièce de la maison où travaillaient les sieurs Louis Broit, plâtrier, André Broit, plâtrier, et Jean Hector, charpentier. Il leur demande si Mme Lombard leur avait dit que M. Viennois l’avait engagée à cesser de faire travailler ses ouvriers et ils répondent qu’elle ne leur avait rien dit de semblable.
Cinq jours après, le 26 avril 1848, le commissaire de police reçoit les déclarations suivantes :
Le sieur Clément Hippolyte, marchand de farine, dit : “Deux ou trois jours avant les élections, je me trouvais devant la porte avec plusieurs de mes amis et nous parlions des propos attribués à M. Viennois. Louis Broit, plâtrier, vint à passer et l’un de nous lui demanda s’il était à sa connaissance que M. Viennois eut engagé Mme Lombard à ne plus donner de travail à ses ouvriers. Broit répondit que le propos était certain et qu’il lui avait été raconté par Mme Lombard elle-même.”
Le sieur Cros père, plâtrier, rue Fusterie, fait une déclaration semblable (la rue Fusterie n’existe plus et se trouvait à l’emplacement actuel du quai Ulysse Chevalier).
Le sieur Louis Hector, charpentier, déclare “qu’étant un de ces jours en compagnie de plusieurs amis, au nombre desquels étaient Louis Broit et Louis Gay, il a entendu un de ces deux individus raconter que M. Viennois avait dit à Mme Lombard qu’il trouvait étonnant qu’elle fit travailler pendant la crise où nous nous trouvions.”
Le sieur Louis Gay, maçon, déclare “qu’un de ces jours, Louis Broit lui a raconté qu’il tenait de Mme Lombard que M. Viennois lui avait dit qu’elle ne devrait pas faire travailler dans ce moment parce qu’on était exposé chaque jour à être pillé ou brûlé.”
Le sieur Antoine Payen, maçon, fait une déclaration semblable à celle du sieur Louis Gay.
Le sieur Vincent Talon fils, jardinier, déclare “qu’il se trouvait un de ces jours avec le sieur Pomaré, cafetier, lorsque Louis Broit s’approcha d’eux et lui dit : Tu ne sais pas, M. Viennois a dit à Mme Lombard que dans la position où nous nous trouvions, il ne fallait pas faire travailler les ouvriers.”
Dans une lettre ouverte datée du 4 mai 1848, le docteur Viennois écrit : “Maintenant, concitoyens, jugez, je m’en rapporte à votre bon sens. Croirez-vous encore ces misérables histrions qui veulent que vous leur serviez de marche-pied afin de s’élever sur des tréteaux pour parader sous la livrée du patriotisme ?”
Les archives ne disent pas si Jean Louis Viennois fut accablé par ces événements mais il est mort cinq mois après ceux-ci, le 13 septembre 1848, dans son domicile de la rue Bayard à Romans-sur-Isère, à l’âge de cinquante-sept ans.
Sources : Archives municipales de Romans-sur-Isère, E33, E65, E105, E117 – Archives départementales de la Drôme, 5 Mi 105/R6, 5 Mi 105/R13 – Le Courrier de la Drôme et de l’Ardèche.