Balet de la Puissance des Richesses dansé à Romans dans la galerie de l’abbé de Leyssins le 1er mars 1661
L’on pourrait s’étonner de découvrir que le 1er mars 1661, un ballet soit donné en l’Hôtel des Allées, nouvelle résidence de Charles de Lionne, abbé de Leissins, à Romans.
Un ecclésiastique de grande famille, abbé commendataire, agent général du clergé de France, gouverneur de la ville de Romans, et cousin germain du puisant ministre des Affaires étrangères de Louis XIV s’amuserait-il de quelques danses ?
Il faut savoir qu’en cette année 1661, Molière, avec “Les Fâcheux”, vient de créer la première comédie-ballet qui est l’aboutissement d’un siècle de folie. En 1610, plus de huit cents ballets sont créés pour le roi et la cour, et aucun événement n’échappe à ces créations étonnantes et somptueuses.
En 1651, âgé de treize ans, Louis XIV danse le “Ballet de Cassandre” devant la cour et devient le plus emblématique ambassadeur de cet art pour les vingt années suivantes.
Le livret du “Balet de la puissance des richesses” nous donne assez de détails pour nous faire une idée assez complète de cette production.
Tout d’abord, une “vérité morale” qui convient à la position sociale du commanditaire. Le démon de l’or séduit tous les hommes, ce qui peut faire sourire de la part de notre richissime abbé mais les Jésuites eux-mêmes n’étaient-ils pas amateurs de ce genre de spectacle joué par les enfants de la grande noblesse ?
Dans ce ballet, le thème central est développé par des “entrées” de personnages symboliques. Ici, la fausse vertu, la renommée et la justice. À Versailles, cette première partie sera toujours en référence au roi et à son pouvoir, à l’occasion de mariages ou de victoires.
Après le défilé des différents types de nations ou de races commentant leur soumission à l’or, la deuxième partie est consacrée à l’histoire de Danaé séduite par Jupiter, sous forme d’une pluie d’or, caution mythologique obligatoire avec sans doute une montée en puissance des effets scénographiques.
En 1565, Giorgio Vasari avait inventé ces créations pour les Médicis avec force disparitions, apparitions, orages, incendies et tempêtes dans des décors en perspective qui stupéfiaient les contemporains.
Dans la production de Romans, on décrit, dès les premières lignes du livret, le démon des richesses sur un trône au fond du théâtre. Autant que le permettaient les dimensions de la galerie, le dispositif scénique devait être assez semblable à celui de la salle du Petit-Bourbon, à Paris : le parterre dégagé pour les entrées et des éléments de décors mobiles, comme ici les arbres.
Il est donc certain qu’un cadre de scène permettant une machinerie avec des effets techniques, comme le feu pour les Enfers, a été installé dans la galerie. On indique même que le Maure entre avec un lion : une sculpture roulante ou une peinture découpée ?
En deuxième partie, c’est une pluie d’or qui tombe sur scène, sans doute en faisant basculer un contenant caché dans les hauteurs.
Il faut noter que, depuis 1638, les créateurs de ces spectacles avaient en main “Pratique pour fabriquer scènes et machines de théâtre”, le célèbre ouvrage de Nicola Sabbattini qui est une mine d’inventions encore utilisées de nos jours : comment faire semblant que toute la scène se démolisse ou soit en flammes, comment on peut obtenir que toute la scène s’obscurcisse en un instant, comment faire sortir avec prestesse des hommes de sous le plancher de la scène, comment faire apparaître un enfer, comment faire que la mer tout d’un coup se soulève, s’enfle, s’agite et change de couleur, comment tout soudain couvrir le ciel de nuages, comment simuler des éclairs et le tonnerre… Ce catalogue d’astuces provoquait l’admiration des spectateurs qui seraient moins convaincus de nos jours, à l’époque de Steven Spielberg.
Cette découverte a été présentée dans l’exposition “L’inconnu de Saint-Barnard, Charles de Lionne, abbé de Lesseins, restaurateur de la collégiale Saint-Barnard”.
A l’initiative de Jean-Yves Baxter, président de l’association Les Amis de Saint-Barnard et du Calvaire des Récollets, et Daniel Ogier, costumier, décorateur, peintre et sculpteur. cette exposition a été inaugurée le 17 septembre 2021 et est visible jusqu’au 10 octobre 2021 dans la chapelle du Saint-Sacrement de la collégiale Saint-Barnard.
À l’occasion du 320ème anniversaire de la mort de Charles de Lionne, abbé de Lesseins, nous rendons hommage à son initiative et son financement de la restauration de la collégiale Saint-Barnard après les destructions dues aux Guerres de religion.
Cinquante ans de restauration et de construction dans les règles du XIIIe siècle à l’époque de Louis XIV.
C’est à Charles de Lionne que nous devons l’église actuelle.
Etonnamment, personne ne connaissait l’existence de ce ballet et de ce livret à Romans !