Vol et insultes proférées à l’encontre de la directrice de la maison appelée “le Refuge”, en 1751
Anciennement dénommée ironiquement “le Paradis” parce que c’était la prison où l’on enfermait les personnes coupables appartenant à l’Eglise, cette maison était située, à peu près, à l’emplacement actuel du restaurant “Le Café des Arts”, cours Pierre Didier.
En 1344, la prison publique de Romans fut établie dans la forteresse de Mont-Ségur, au pied de la tour Jacquemart, et la maison dite “le Paradis” fut vendue. Elle eut alors plusieurs destinations au cours du temps : habitation particulière à la fin du XVIIè siècle, maison de la Compagnie de Bon Secours pour servir de refuge à des filles repenties au début du XVIIIè siècle, diverses bonnes oeuvres au milieu du XVIIIè siècle, maison de la Congrégation de Sainte-Marthe en 1813, école des Frères de la doctrine chrétienne en 1820. Elle fut démolie en 1842 pour faire place à la rue Paradis que nous connaissons encore aujourd’hui.
En 1751, c’est donc sous le nom de “Refuge” que cette maison était connue à Romans et qu’elle fut le théâtre d’un événement suffisamment grave pour avoir fait l’objet d’un acte judiciaire.
Madeleine Charles, veuve de François Chevalier, chirurgien de la ville de Romans, était la directrice du Refuge depuis le 18 août de l’année précédente.
Dans cette maison, les exercices de piété avaient cessé depuis plus de dix ans et on avait laissé pour concierges, “le nommé Robert et sa femme, gens illettrés et inutiles.” Mais le rétablissement récent des exercices de piété avaient formé une jalousie et des ennemis à la directrice parce que les curés de la ville avaient demandé à Robert et sa femme d’évacuer et de cesser d’habiter la maison.
Le couple continuait d’y occuper un appartement sans aucun paiement de loyer et la femme Robert eut même la malice de faire faire une double clé lui permettant d’accéder à la chambre de la directrice qui déclara qu’on lui avait volé “une paire de manches de chemises et quatre serviettes, dont deux de façon et deux de cordail.”
Le 26 août 1751, sur environ huit heures du soir, la directrice s’aperçut que la clé de la chapelle et celle du portail de la maison manquaient, et elle s’adressa à la femme Robert pour lui demander si elle n’avait pas vu les clés. Celle-ci lui répondit qu’elle ne les avait pas volé, ce qui parut suspect à Madeleine Charles qui ne l’accusait pas d’emblée. C’est alors que la femme Robert, “par un dessein secret et prémédité”, cria au secours, ouvrit le portail de la maison qui ne fermait que par le verrou en-dedans, redoubla ses appels au secours et fit avancer ses partisans, Joseph Tardy et sa femme, voisins, et entrant dans la cour, elle proféra mille injures atroces contre la directrice, disant “tu sortiras d’ici, gueuse, coquine, garce !”
Le sieur Jobert, un des curés de la ville, arriva et Madeleine Charles, les larmes aux yeux, lui prenant les mains et les bras pour le retenir, le supplia de l’écouter et de faire attention qu’on la traitait de gueuse en sa présence mais le curé ne voulut pas l’écouter. Et alors qu’il sortait de la maison, la femme de Jean Béranger et la nommée Feugier, qui venaient aussi de traiter la directrice de gueuse, arrêtèrent le sieur Jobert et lui dirent : “Ah, nous vous plaignons bien ! Elle vous a donné plusieurs coups de poing, elle vous a bien battu !” Le curé leur dit que non mais les deux femmes persistèrent dans leurs accusations.
Le même soir et tout de suite, la directrice fut chez Monsieur le juge royal qui se trouvait à souper en ville et elle y retourna le lendemain. Il lui répondit qu’il était inutile de faire une plainte si le sieur Jobert avait dit qu’il n’avait pas été battu ni maltraité par elle. Mais dans le même temps, le curé présenta une requête pleine de calomnie au juge royal.
Ce dernier demanda à Madeleine Charles de faire avertir le juge du chapitre de Saint-Barnard duquel dépendait le sieur Jobert. Elle fut donc chez Monsieur Desmarets, chanoine théologal et juge du chapitre de Saint-Barnard mais il était absent. Le juge royal promit d’attendre son arrivée qui ne fut pas heureuse pour la directrice car la chaise dans laquelle était le sieur Desmarest renversa et incommodé, il dut garder la chambre plusieurs jours.
Sans plus attendre, le juge royal assigna Madeleine Charles à comparaître en personne et à répondre sur les faits dont elle était accusée.
Quelques jours plus tard, le chapitre de Saint-Barnard décida d’entendre tous les protagonistes pour “rendre prompte et brève justice à qui il appartiendra” mais le document d’archive consulté s’arrêtant là, nous ne connaîtrons malheureusement pas le dernier mot de cette édifiante affaire.
Sources : Archives municipales de Romans, 10Fi092, Plan d’alignement de 1821, Deuxième feuille du plan – Archives départementales de la Drôme, 3 G 5365, Acte judiciaire relatif à un vol et à des insultes proférées à l’encontre de la directrice de la maison appelée “le Refuge”, 1751.