Deux employés de banque condamnés à cinq et sept ans de travaux forcés
Le mercredi 13 avril 1949, les frères Henri et Gabriel Cartier, employés depuis deux ans dans une banque de Romans-sur-Isère, comparaîssent devant les assises de la Drôme.
A la suite de la découverte de détournements, une plainte fut déposée par la banque et une expertise comptable fut ordonnée. Elle révéla des opérations délictueuses au déroulement compliqué : établissement de bordereaux d’effets fictifs, altération de fiches comptables et utilisation de ces pièces.
Les faits remontent à 1939, 1940 et 1941.
Les accusés sont défendus par maîtres Turin, Floriot et Desvignes, le bâtonnier Joël Roche représente la partie civile et le substitut Bouchery occupe le siège du Ministère public.
A l’issue de la lecture de l’acte d’accusation, le Président rappelle aux frères Cartier qu’ils sont accusés de faux en écriture de banque, usage de faux et abus de confiance qualifiés.
M. Coudert, expert-comptable à Valence, dont la mission a principalement consisté à vérifier les opérations de caisse faites par la banque où travaillaient les frères Cartier avec la Banque de France, confirme que le manquant constaté dans la caisse dépasse deux millions de francs (59 320 € actuels). Les chèques et les chiffres de caisse incriminés portent tous la signature de l’un ou l’autre des frères Cartier, et quelquefois les deux.
M. Lupin, aussi expert-comptable à Valence, qui succède à M. Coudert à la barre, a contrôlé le compte “porte-feuille”. Des irrégularités très graves ont été constatées dans ce service dont le chef n’était autre que Henri Cartier. L’expert Lupin a notamment relevé des faux caractérisés par l’inscription d’une somme d’environ 2 700 000 francs (80 082 € actuels) d’effets de commerce débités en plusieurs fois vers le 15 novembre 1940, au compte de la Banque de France, alors que ces effets ne lui avaient pas été remis.
L’expert Fontaine, de Grenoble, chargé d’une mission de synthèse, chiffre le total certain des détournements à 2 900 000 francs (86 014 € actuels) dont il attribue la responsabilité partie à Henri Cartier et partie à Gabriel Cartier. Il ne peut attribuer de responsabilité précise à l’un ou à l’autre frère pour une somme supplémentaire de 800 000 francs (23 728 € actuels).
Sur diverses questions du Ministère public, les trois experts affirment que les frères Cartier n’ont pas pu ignorer les opérations incriminées et pensent que les plus grandes présomptions de culpabilité pèsent sur eux.
On entend encore M. Thomas qui fut garçon de course à la banque puis caissier et qui, sur l’ordre de Cartier, remit les archives à la maison de cartonnage Bossan pour qu’elles soient mises au pilon. C’est ce que vient confirmer cet industriel qui ne peut préciser de quelle époque étaient ces archives.
Une déposition importante faite par M. Martin, comptable, permet d’établir que Gabriel Cartier avait retiré à ses employés, qui en étaient chargés depuis longtemps, le contrôle du compte de la Banque de France dont l’examen aurait fait évidemment découvrir les malversations des accusés.
Le début de la matinée du lendemain, jeudi 14 avril 1949, est consacré à l’audition des derniers témoins. Il s’agissait des collègues de la banque qui venaient expliquer le mécanisme de certaines opérations accomplies par les frères Cartier.
Puis défilent divers témoins de moralité parmi lesquels M. Deval, maire de Romans-sur-Isère, qui vint dire notamment que les frères Cartier auraient dû être contrôlés plus sérieusement par leur chef et qu’ils n’en serainet pas arrivés là dans ce cas.
M. le bâtonnier Joël Roche parlera tout d’abord au nom de la partie civile et il fait l’historique des faits démontrant le mécanisme des opérations par lequel les frères Cartier détournèrent des sommes importantes.
Puis le substitut Bouchery prononce un réquisitoire sévère s’employant à rendre perceptible au jury les opérations délictueuses des deux employés de banque et demande en conclusion la peine de travaux forcés.
Successivement, maîtres Floriot, Desvignes et Turin prononcent leur plaidoirie qui, chacune dans leur genre, sont remarquables. Ils tendent à démontrer que les accusés ont été chargés de responsabilités dont ils n’étaient pas capables et qu’au surplus, les détournements n’ont pas été supportés par les épargnants.
La cour et le jury avaient à répondre à plus de cinquante questions et leur délibération dura plusieurs heures.
Le verdict est enfin prononcé : Henri Cartier est condamné à sept ans de travaux forcés et son frère, Gabriel, à cinq ans de la même peine.
Sources : Archives municipales de Romans-sur-Isère ; “Le Dauphiné Libéré” des jeudi 14 avril et vendredi 15 avril 1949