La catastrophe du pont de Vernaison
Le 21 septembre 1945, une effroyable collision entre la Micheline Grenoble-Valence et un train mixte sur le viaduc de Romans-sur-Isère, aussi appelé pont de Vernaison, a choqué toute la population.
Voici comment le journal Les Allobroges, “Le grand quotidien régional des Alpes et de la Vallée du Rhône”, a rapporté cet événement dans ses colonnes, entre le 22 et le 25 septembre 1945 :
“Alors qu’un train ramenait vers leurs familles tant de gens heureux après une journée bien remplie et qu’une Micheline emportait des voyageurs paisibles roulant vers leurs affaires ou regagnant leurs villes ou leurs villages, un effroyable choc s’est produit : bilan, trente morts dont huit corps carbonisés et cent six blessés.
Dans la nuit, pour une population angoissée, désormais une seule chose compte : secourir ces êtres coincés sous la ferraille et dans les flammes, dégager ces corps broyés.
La première émotion non effacée mais contenue, il est utile d’essayer de préciser les circonstances de l’accident qui, à cinq secondes près, eut pu être évité.
Le pont de Vernaison qui surplombe l’Isère à quatre kilomètres de Romans-sur-Isère a été mutilé par les allemands. Depuis lors, une seule voie a été rétablie sur une longueur de un kilomètre.
Le mécanicien de la locomotive tamponneuse, vingt deux ans de service à la S.N.C.F., est sur son lit d’hôpital. Il souffre de quelques contusions et porte une blessure au front mais il souffre surtout moralement. Après l’accident, il a fallu l’empêcher de se jeter dans l’Isère. La mort dans l’âme, il répond aux questions. Il affirme que le signal qui protège l’aiguillage de la voie unique était ouvert et la voie libre : “Quand j’ai vu la catastrophe, j’ai renversé la vapeur, j’ai freiné, c’était trop tard.” Il s’étonne que la bande enregistreuse marque 55 kilomètres par heure car, au même endroit, la bande de la veille n’en marque que 18.
Le conducteur de la Micheline, également blessé, est aussi à l’hôpital : “Grâce à mes phares, j’ai vu le train à cinquante mètres environ. J’ai freiné. Quoique coincé moi-même, j’ai pu sauver deux personnes et rejoindre le poste d’aiguillage pour donner l’alerte à Romans.”
Le choc s’est produit à trois mètres de l’aiguillage, au moment où l’autorail amorçait la voie. La locomotive de 87 tonnes a fait reculer sur trente mètres la Micheline qui fut éventrée et flamba quelques minutes après. Et alors, le fourgon qui portait les travailleurs romanais fut écrasé entre le tender et un wagon chargé de charbon. S’il s’était agit d’une voiture de voyageurs au lieu d’un fourgon, l’accident eut été moins terrible.
Une grue de cinquante tonnes a soulevé le wagon de charbon qui écrase le fourgon et les corps. A peine était-il en l’air que quinze morts, un à un, se détachaient de la ferraille et tombaient aux pieds des sauveteurs.
A l’hôpital, on compte quatre amputations et de nombreuses fractures ouvertes et graves.
Une chapelle ardente a été installée à la gare de Romans-sur-Isère. Trente corps y reposent. La population est allée s’incliner devant eux durant toute la journée de dimanche.
Dans la salle, une jeune femme arrive pour reconnaître un corps carbonisé. Ils sont bien minces les éléments qui désignent finalement la victime.
Trois personnes sont portées disparues. Certains témoins affirment avoir entendu la chute de corps dans l’Isère.
Lors des funérailles, en présence de toutes les autorités civiles, militaires et religieuses du département et de la ville de Romans-sur-Isère, plus de 10 000 personnes ont apporté aux familles des victimes le témoignage ému et fraternel de leur compassion.
La vue d’ensemble est grandiose et surtout émouvante. Un autel est dressé face à la gare. Les cerceuils sont rangés sur toute la longueur de la place, disparaissant sous un tapis de fleurs.
La messe est célébrée par M. Voulet, curé-archiprêtre de la collégiale Saint-Barnard, en présence de Monseigneur Pic, évêque de Valence, et d’un nombreux clergé. Dans une allocution dispensatrice d’hommage aux disparus et de consolation aux vivants, Monseigneur Pic développe toutes les raisons d’espérance que la religion apporte dans pareille épreuve.
L’émotion est poignante à l’élévation quand la musique attaque la sonnerie “Aux Morts”.
M. le pasteur Ribagnac, de Valence, s’associe de tout coeur, au nom de la communauté protestante, au deuil qui frappe tant de familles et apporte le message de paix et d’espérance de l’Evangile.
M. le commandant Guyon, de l’Etat-Major de la Subdivision de Valence, apporte au nom du colonel Thomas le salut de l’armée. Il exprime la douleur ressentie par son groupement qui perd neuf des siens, tombés au terme d’une journée de travail.
C’est ensuite le maire de Romans-sur-Isère qui s’incline devant la douleur des familles.
Puis, le défilé se forme pour se rendre au cimetière. Tout le long du trajet, la population est massée sur les trottoirs. Le défilé est d’une longueur imposante : les enfants de choeur entrent au cimetière alors que la foule est encore sur la place du marché.
Les cercueils sont placés devant leurs tombes respectives. Les personnalités s’inclinent. Deux cerceuils sont dirigés vers le cimetière de Bourg-de-Péage.
Ainsi s’achève le voyage qui devait aboutir à de la joie, à des affaires, à un retour et, pour les travailleurs romanais, à une soirée en famille qui était chaque soir la récompense d’une journée bien remplie.”
Sources : Archives municipales de Romans-sur-Isère ; 1 PER 188 – Journal “Les Allobroges” du 22 au 25 septembre 1945