Louis Hector, un romanais au siège de Belfort
Lorsqu’au début de la guerre franco-allemande de 1870 l’Armée du Rhin est mise en déroute dans le nord de l’Alsace, puis que Strasbourg est prise le 28 septembre, Belfort constitue le dernier rempart avant une invasion du centre de la France par les armées allemandes.
Le colonel Pierre Philippe Denfert-Rochereau est nommé gouverneur de la place de Belfort en 1870 et dès l’annonce de la progression allemande, il entreprend l’édification de fortifications supplémentaires pour compléter efficacement les fortifications héritées de Vauban.
Le romanais Louis Hector a été récompensé de la Croix de la Légion d’Honneur pour s’être illustré lors du siège de Belfort qui durera du 3 novembre 1870 au 18 février 1871 et voici en quels termes il raconte cet épisode :
“Après la capitulation de Metz et à l’annonce de l’envahissement du département du Haut-Rhin par l’armée prussienne, notre colonel Denfert-Rochereau, auquel Léon Gambetta venait de confier la défense de Belfort, réunit dans son bureau tout le personnel du Génie pour assigner à chacun le poste qu’il occuperait si la place était attaquée.
Bien que le plus jeune de l’Etat-Major du Génie de la place, je me vis chargé des travaux de défense du fort de la Miotte et des ouvrages avancés.
Personne n’ignore combien l’effectif de la garnison était réduit après la formation du 7è Corps d’Armée par le général Douai et son départ précipité vers Sedan.
Aussi, dans la dédicace de son livre à Gambetta, La Défense de Belfort, notre colonel, parlant des troupes qui lui restaient, écrivait : “J’ai choisi les plus intelligents et, quel que fût leur grade, je me suis attaché à confier aux plus capables les postes les plus importants, débarrassant leur action de toute entrave et en les gardant sous mon contrôle direct et immédiat.”
Je puis donc, à juste titre, être fier d’avoir été désigné par notre colonel comme l’un des cinq officiers dont les signatures étaient seules valables pour tous achats concernant la défense. Plus tard, on devait dire d’eux : “Ce sont les cinq lieutenants de Denfert-Rochereau.”
Je reçus ensuite, par son ordre, sur les glacis de la Miotte, en présence du capitaine Sailly, commandant du Fort, et Martel, capitaine des Mobiles du Rhône, le pli du parlementaire allemand, major Von Grollman, par lequel le général Trescow demandait la reddition de la place. Je lui portais ensuite, au poste de la porte du Vallon, le refus formel de notre colonel de la rendre.
Du fort, nous veillions les avant-postes et surtout le passage des détachements ennemis d’un point à un autre. Nos ennemis ne l’ignoraient pas car il leur était facile de nous voir, avec le brave lieutenant Vimont, diriger sur tout le pourtour de la place assiégée, les importants instruments d’optique apportés de Mulhouse par nos ingénieurs français. Aussi, les batteries ennemies tiraient-elles furieusement sur cette tour.
Nous la vîmes, hélas, tomber pierre à pierre jusqu’à ce qu’il ne nous fut plus possible d’y pénétrer et de l’utiliser pour la défense. Ainsi, la vigie qui se trouvait en permanence à son sommet fut supprimée cessant de nous aviser, à son de trompe, de l’arrivée des projectiles, ce qui permettait à chacun de se dissimuler sous les abris ou les blindages construits par mes soins près de chaque factionnaire ou à proximité des artilleurs.
En faisant exécuter tous ces importants travaux, je fus blessé au flanc droit mais je refusai de quitter mon service, ce qui me valut d’être cité à l’ordre du jour et décoré un des premiers.
Le 14 février 1871, notre colonel ayant reçu l’ordre du Gouvernement de la Défense Nationale de cesser les hostilités et de rendre la place, il me désigna, le 18, pour remettre aux officiers allemands le fort de la Miotte. Toutes les troupes avaient évacué la place. Les deux officiers désignés pénétrèrent dans le fort que nous parcourûmes rapidement tous les trois. Puis, je fus accompagné par eux jusqu’à la porte du Vallon et je me dirigeai sur la ville que je quittai par la porte de France pour rejoindre notre colonel à Sochaux, où une première réception lui était faite par les habitants.
La veille de cette mémorable journée, à la fin de notre dernier repas à la Miotte, le capitaine d’artillerie Sailly, commandant le fort, se leva de table et, se tournant vers moi, dit : Mon cher Hector, avant de nous séparer, je tiens à vous exprimer bien sincèrement combien vos services nous ont été utiles pendant la défense, non seulement en nous donnant, avec une précision remarquable, les distances des pièces ennemies, mais en toute occasion, en raison de votre grande activité, étant toujours sur la brèche. Et pour résumer ma pensée, celle de Messieurs les officiers et des troupes, vous avez été notre providence à la Miotte.”
Sur 17 700 hommes que comprenait la garnison au début du siège de Belfort, 4 750 trouvèrent la mort.
Sources : Archives municipales de Romans-sur-Isère, Almanach du Bonhomme Jacquemart, 1906, 1908 et 1911 ; Archives départementales du Territoire de Belfort, 7 Fi 1096, Siège de Belfort (1870-71), l’adjoint du Génie Louis Hector remet, par ordre du colonel Denfert, les clefs du Fort de la Miotte aux officiers allemands (18 février 1871)