Une anecdote extraordinaire au sujet de la mule du pape Pie VI
Suite à la lecture de l’article “Les certificats d’authenticité des reliques de l’église Saint-Barnard “, Elvio Segatto, né en 1922 dans le quartier Saint-Nicolas et ancien cadre à l’usine Charles Jourdan, m’a confié une anecdote extraordinaire au sujet de la mule du pape Pie VI conservée dans la sacristie de l’église Saint-Barnard.
Il m’a autorisé à la publier ici :
“Vers l’année 1933, alors qu’à l’âge de 11 ans je faisais partie du groupe des enfants de choeur à l’église Saint-Nicolas, mon quartier, nous fûmes envoyés en mission à la collégiale Saint-Barnard pour étoffer la célébration d’une cérémonie religieuse, à l’occasion de la venue de l’évêque de Valence.
Gamin très curieux, comme je le suis d’ailleurs toujours resté, en farfouillant dans les grandes armoires qui placardent les murs de la sacristie, je découvris dans la poussière d’un recoin, une châsse de verre brisée contenant une sorte de pantoufle de cuir rouge posée sur un coussinet pourpre.
Ayant soulevé le couvercle de cette châsse et pris en main la chaussure, je la retourne puis je soulève le coussinet sur lequel elle était posée et vois, caché dessous, une vieille enveloppe non cachetée en papier bleu que j’ouvre.
Je lis alors, sur la feuille, une attestation de donation de ladite mule à l’église de Saint-Barnard par une famille qui l’avait reçue du pape Pie VI, qu’elle avait hébergé pendant une nuit lors de son passage à Romans-sur-Isère.
Quarante ans plus tard, vers l’année 1975, alors que je travaillais chez Jourdan en qualité de responsable de la fabrication, installé dans le même bureau vitré près de Charles Jourdan fils, celui-ci me dit qu’il était en quête d’une idée originale axée sur le thème de la chaussure pour faire une vitrine du magasin de New York sur la 5è Avenue, à l’occasion des prochaines fêtes de Noël.
C’est alors que me revient a l’esprit l’image de cette mule papale sur une haute étagère de la sacristie.
Ayant pris rendez-vous avec le curé de la collégiale, celui-ci nous avoua tout ignorer de la présence d’une éventuelle mule dans un des placards de la sacristie.
Nous allons alors fouiller dans la poussière de cette partie du grand placard. Finalement, après quelques recherches, nous découvrons les débris de verre de la châsse écrasée et sous lesquels gisait, aplatie, ignorée et abandonnée, la mule sur son coussin pourpre.
Le curé de Saint-Barnard étant d’accord pour nous la confier, le lendemain je m’empresse d’aller chez le vitrier pour lui faire découper cinq répliques des douze pièces de verre composant les éléments de chaque châsse d’ont j’avais fait les modèles en tôle fine après les avoir laborieusement reconstitués.
Puis, il fallut aller chez les artisans mégissiers Darnaud et Chaix, dans leur sombre atelier médiéval de la rue des Chauchères et situé au fond d’un bâtiment voué à la démolition. A ma demande, ils ont bien voulu essayer de nous faire quelques peaux de chèvres à la couleur du modèle. Je les ai alors vieillies laborieusement.
André Gey, styliste, a copié un patron de la broderie au fil d’or qui ornait la claque de la mule. Puis, nous avons cherché du fil d’or, que nous avons finalement trouvé à Lyon, pour faire la broderie. Ensuite, il fallait trouver une brodeuse. Ce fut miraculeusement une bonne soeur arrivant d’Argentine que nous avons déniché au couvent de Sainte-Marthe. Car, dans aucun couvent de Romans, on ne trouvait de religieuse sachant faire ce travail moyenâgeux.
Puis, c’est également dans une boutique lyonnaise qu’on trouva la pièce de soierie rouge à peu près semblable pour faire la doublure.
Personnellement, je me suis chargé de la fabrication des copies conformes de la mule papale car nous en fîmes quatre exemplaires parfaitement identiques auxquels on donna une touche finale d’ancienneté (décoloration et patine).
Monsieur Charles Jourdan fils appelle alors le curé de Saint-Barnard pour lui annoncer notre visite.
Me voici parti, en compagnie de mon patron, vers la cure de Saint-Barnard et portant le gros carton où étaient les cinq boîtes et leurs précieuses châsses contenant chacune une mule.
Dans la grande pièce de la cure, nous déballons et alignons une à une, sur la longue table, devant notre ecclésiastique ébahi et indécis par tant de similitude, les cinq mules parfaitement identiques.
Monsieur Charles Jourdan fils m’avait au préalable fait part de son intention de faire une farce innocente au brave curé. Et, sans hésiter, il pousse une des quatre copies vers le curé en disant “Voici votre mule papale !”.
Puis, on entama une conversation banale. Mais pendant qu’on parlait, sur le front du brave curé assis en face de nous, une ride soucieuse grandissait peu à peu, marquant une préoccupation grandissante pendant que ses mains nerveuses faisaient glisser et pivoter sur elle-même la mule en même temps que ses yeux allaient d’une mule à l’autre, cherchant en vain à découvrir un indice, une différence.
Finalement, n’y tenant plus, il nous dit : “Etes-vous bien sûrs de m’avoir rendu la bonne mule, au moins ?”
Ne voulant prolonger plus loin son angoisse évidente, nous lui avons présenté trois chaussures, deux copies et l’authentique, tout en lui demandant de bien observer la doublure en soierie de chacune car seule celle dont la trame du tissu était différente des deux autres était l’originale.
C’est ce qu’il fit et soudain, déridé et enfin souriant, se piquant au jeu, il brandit la mule originale en se dressant et s’écriant rieur : “J’ai trouvé !” “