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Mystère des trois Doms, joué à Romans-sur-Isère en 1509

Mystère des trois Doms, joué à Romans-sur-Isère en 1509Cette composition dramatique n’est point assurément un chef-d’oeuvre. Les lecteurs exclusivement soucieux des beautés littéraires, pourront se dispenser de l’ouvrir : leur curiosité ne serait pas satisfaite.

Toutefois, s’il est vrai que l’histoire des littératures “n’est pas faite seulement pour fournir à l’admiration des hommes un choix de modèles, mais que ses monuments divers doivent former avant tout un musée scientifique” ; s’il est incontestable qu’ignorer le théatre du Moyen Age, c’est ignorer en même temps une partie considérable de cette époque, on conviendra que cette publication peut avoir son intérêt et son utilité. Ce qui ajoute à son prix, ce sont des documents “forts curieux”, au dire de M. Petit de Julleville, qui retracent l’histoire de notre Mystère “avec des détails que nous ne possédons sur aucun autre”.

I

Le mystère des trois Doms, c’est-à-dire des trois saints martyrs Séverin, Exupère et Félicien, fut représenté à Romans-sur-Isère aux fêtes de Pentecôte, les 27, 28 et 29 mai 1509. Il en est fait mention dans les temps postérieurs, à des intervalles plus ou moins éloignés.

Le 31 mai 1521, le manuscrit fut prêté à Ponson Baudin fils, de Romans-sur-Isère, pour l’ “aider à composer l’histoire de la vie de saint Ignace”.

Aymar du Rivail, qui écrivit dans le premier tiers du XVIè siècle ses neuf livres sur les Allobroges, affirme que les romanais représentèrent plusieurs fois la vie et la mort sanglante des trois saints : “Per aliquod annorum curriculum , eorum vitam et mortem ac plicium Romanenses magno sumptu commemorent et ludo suprepraesentant.”

L’annaliste fait évidemment allusion ici au Mystère des trois Doms. Né vers 1490, à Saint-Marcellin, dans le voisinage de Romans-sur-Isère, élevé dès sa plus tendre enfance à l’ “académie” de cette dernière ville, où il a dû dû sans doute conserver des relations, du Rivail ne pouvait ignorer, ni l’oeuvre du chanoine Pra, ni l’année où elle fut jouée pour la première fois. Aussi, lorsque dans son histoire continuée jusqu’en 1535, et même remaniée depuis, il avance que les romanais sont en usage de célébrer de temps en temps, à époques en quelque sorte périodiques, et par des jeux figurés à grands frais sur un théatre, la mémoire des saints patrons de la cité, il faut bien en conclure que notre Mystère ne lui est pas demeuré inconnu et qu’il l’a en vue dans le passage précité.

Il faut arriver à la fin du XVIIIè siècle pour rencontrer quelques pages – peu flatteuses, il est vrai, – relatives à cette composition dramatique. En 1787, les Affiches du Dauphiné en donnèrent une courte analyse, reproduite la même année dans le Journal de Paris et empruntée à ce dernier par l’Esprit des Journaux. L’auteur de cet article est un romanais, qui s’est caché sous le voile de l’anonyme :

“Le 27 mai 1509, fut représenté à Romans-sur-Isère, devant l’église des Cordeliers, le Jeu ou Mystère des trois Damps ou Doms. On voit, par le manuscrit qui subsiste de cette pièce renommée, qu’il fallut trois jours pour donner la représentation de la pièce en entier.

Il n’est pas possible, dans cette pièce, d’assigner le lieu principal de la scène, car il varie sans cesse ; et la durée de l’action n’est pas renfermée entre deux soleils, car des émissaires entreprennent et terminent de longs voyages pendant le cours de la pièce. La scène, ensanglantée par le martyr des trois Doms, tantôt est à Rome, tantôt à Vienne, tantôt à Lyon, d’autrefois dans les Alpes ; et cependant le théatre représente sans cesse l’enfer et le paradis, L’Europe, l’Asie et l’Afrique, qui sont cantonnées dans trois tours. On y personnifie des êtres métaphysiques, par exemple : la dame Silence fait presque tous les frais du prologue ; Soulas humain, Grâce divine et Confort divin donnent du secours aux héros de la pièce et de l’ennui à ceux qui la lisent. L’enfer vomit des diables, impatientants par leurs propos orduriers. Ces diables n’ont que des sottises à dire à la déesse Proserpine, qui, par un mélange singulier de la fable et de la religion révélée vient aussi figurer sur le théatre.

Parmi les quatre-vingt-douze personnages qui paraissent dans le Mystère des trois Doms, on voit la sainte Vierge et Dieu le Père. Les noms de plusieurs de ces personnages sont d’une singularité remarquable : il y a un Brisebarre, un Ferragus et un Machebourre, acteurs épouvantables, qui font parade de bravoure, mais qui prouvent qu’ils ne sont que cruels. Il y a aussi un Torchemuseau, une Poudrefine. Torchemuseau aide le bourreau en qualité de valet dans ses éxecutions sanguinaires.

Les reliques des saints martyrs étaient aussi portées sur les théatres de ces représentations. Il y a même sur leur translation une pièce, en un acte qui n’a pas été jouée.

On sait par qui les rôles du Mystère des trois Doms étaient remplis, et l’on connait le nom de l’auteur. L’officialité de la ville, un ou deux chanoines, un cordelier parurent comme acteurs. Cette pièce fut suivie d’une procession générale et terminée par un Te Deum.”

Pauvre chanoine Pra ! Après avoir eu son heure de gloire relative, son oeuvre était tombée dans un oubli deux fois séculaire : et voilà que le jour où l’on secoue la poussière qui la recouvrait, la voix qui la fait connaître ne trouve pour en parler que ces mots dédaigneux et à peine exacts, empreints d’ “une intention très marquée de ridiculiser le drame du Moyen Age”.

Le XIXè siècle devait faire davantage pour sa mémoire.

M. Dochier paraît avoir connu le texte du drame : “Cette pièce, dit-il, ne contient rien de remarquable sous les rapports de l’art ; la conduite et le style sont aussi bizarres que dans celles que l’on jouait alors ; une analyse plus détaillée ne présenterait rien d’intéressant.”

On se prend néanmoins à douter qu’il ait eu le texte original entre les mains, quand on le voit, dans la même page, évaluer à “trois mille” seulement le nombre des vers du poème.

En tous cas, on ne tarda guère de perdre la trace du manuscrit. M. Pilot ignore complètement son existence et, voulant parler de l’oeuvre du chanoine Pra, il se contente de copier presque littéralement les expressions de Dochier.

M. de Soleinne, qui avait formé une “bibliothèque dramatique” presque complète et si précieuse, ne l’a inscrit dans son Catalogue, sur la fois de l’article cité du Journal de Paris, qu’au nombre de ceux qu’il n’a pu se procurer, desiderata.

Mais en 1848 parut un ouvrage qui, en l’absence de l’original du drame, renseigna sur bon nombre de questions intéressantes auxquelles il donnait lieu. C’était la Composition, mise en scène et représentation du Mystère des trois Doms, joué à Romans-sur-Isère, les 27, 28 et 29 mai, aux fêtes de Pentecôte de l’an 1509, d’après un manuscrit du temps, publié et annoté par Mr Giraud, ancien député. L’auteur donnait au public le texte d’un mémoire ou compte écrit dans le temps même, et où sont rapportés jour après jour les arrangements pris, les marchés passés, les sommes payées ou reçues pour la composition, la mise en scène et la représentation de ce drame. On y trouve son auteur (ou plutôt ses auteurs), le peintre décorateur, le machiniste, les salaires qui leur sont alloués, le prix et le produit des places pendant les trois journées, ce qui permet d’en déduire exactement le nombre des spectateurs ; en un mot, la dépense et la recette y sont minutieusement rappelées, qu’on peut calculer, on aurait dit alors à une maille et aujourd’hui à un centime près, tous les frais d’une semblable entreprise. La mémoire prend l’oeuvre, sous le rapport pécuniaire et matériel, a sa naissance, la suit dans tous ses détails et la conduit à son dénouement. C’est à la fois le budget et le compte de la pièce des trois Doms. A ce titre, il offre plus qu’un titre de simple localité ; il peut être considéré comme un document précieux pour l’histoire de l’art. Cette publication était précédée d’une introduction qui mettait en lumière les données du mémoire et suivie de notes qui servaient d’éclaircissements.

En 1854, M. le comte de Douhet consacra quelques lignes aux trois Doms, dans son Dictionnaire des Mystères.

On lit encore dans le Bulletin de la Société d’Archéologie de la Drôme, sous la signature de M. A. Lacroix, une page relative à la représentation de notre pièce.

A son tour, M. Petit de Julleville en parle à plusieurs reprises dans la première partie de son excellente Histoire du théatre en France : les Mystères ; il y fait surtout ressortir ce qu’il y a de neuf et de précieux dans le mémoire publié en 1848.

Enfin, après avoir été l’objet de nombreuses recherches, après avoir donné lieu aux publications, aux analyses et aux jugements que nous venons de rappeler, le manuscrit du Mystère des trois Doms a été découvert à Romans-sur-Isère, dans le grenier de Mme Sablières des Hayes, au milieu d’autres registres poudreux, en décembre 1881. Acquis par M. Giraud, il fait actuellement partie de la belle bibliothèque qu’à héritée de son oncle M. Paul Giraud, conseiller à la cour d’appel de Lyon.

Le volume, de format in-folio, mesure 355 millimètres sur 260 ; il se compose de onze cahiers de papier (sans filigrane), de force inégale ; d’après un numérotage récent, qui embrasse quelques pages additionnelles de moindre format, les feuillets sont au nombre de 241. En dépit de la suppression de plusieurs pages, dont il ne reste que le talon, le volume est absolument complet : il s’ouvre par une préface en latin et se termine par un épilogue en français et la liste des personnages qui ont rempli les rôles, le tout de la plume du juge royal, Louis Perrier. Le dernier feuillet seul a souffert notablement de l’humidité, par suite de l’arrachement – déjà ancien – des ais qui constituaient une solide reliure à nerfs saillants.

L’original du compte de la représentation faisait partie des papiers de M. Louis Saint-Prix Enfantin, chanoine de Saint-Barnard ; son héritière, Mlle Eugénie Hugues, le donna à M. Giraud le 3 novembre 1841 et celui-ci en a fait don le 14 septembre 1881 à la bibliothèque nationale de Paris, où il est inscrit sous no 1261 des nouveaux acquis du fonds français. Il forme un cahier de papier (marqué d’un B comme filigrane) in-4o, dans une couverture en parchemin, et mesure 290 millimètres sur 205. Des 59 feuillets qui le composent d’après le numérotage actuel, 40 seulement sont écrits. Le compte est tout entier de la main du consul Jean Chonet, sauf les feuillets intercalaires 14, 21, 24-5 et 28, qui en sont les pièces justificatives.

II

Dans quelles circonstances fut décidée et menée à bonne fin la représentation d’un mystère à Romans-sur-Isère ? Quelles furent les causes déterminantes de la résolution prise à cet égard par le clergé et le peuple de la ville ?

La raison est sans contredit dans l’entrainement passionné avec lequel on suivait les péripéties de ces drames, où la vie d’un saint, un miracle de Notre-Dame, la passion du Christ étaient retracés et dont l’audition constituait un des bonheurs le plus généralement goûtés et le plus profondément sentis. Ceci semble plus spécialement vrai de notre région méridionale que des autres portions de la France, comme il résulte du beau travail de M. Petit de Julleville, ainsi résumé à ce point de vue par M. Antoine Thomas :

“Les mentions de représentations de mystères réunies par M. P. de J. se rapportent en majorité aux pays de langue d’oïl. Dans les pays de langue d’oc, les mentions les plus fréquentes concernent la région située sur la rive gauche du Rhône : la Provence, le Dauphiné et la Savoie ne nous offrent pas moins de trente-deux représentations assurées à Aix, Auriol (Bouches-du-Rhône), Chambéry, Die, Draguignan, Forcalquier, Grasse, Grenoble, Marseille, Modane, Montélimar, Romans-sur-Isère, Saint-Jean-de-Maurienne, Salterbrand (Vallées d’Oulx), Seyssel, Toulon, Valence et Vienne. Au contraire, la région bien plus vaste qui s’étend du Rhône à l’Océan, et du plateau central aux Pyrénées, ne nous en donne que seize. Ces seize mentions se rapportent à un très petit nombre de localités : Caylux (Tarn-et-Garonne), Clermont-Ferrand, Liomges, Mende, Montauban et Rodez ; en outre, elles sont loin de présenter toutes le même degré de certitude et précision.”

Mais à cette cause générale, – dont la justesse ressort mieux encore des textes que nous avons exhumés des archives du Dauphiné, – se joignirent au commencement du XVIè siècle des motifs pariculiers que nous font connaître les documents du temps.

En l’an 1504, le printemps fut d’une sécheresse désolante. Pour apaiser le Ciel, les romanais firent une procession générale, immédiatement suivie, le 15 juin, d’une pluie bienfaisante : incontinent on proclama “le beau miracle”, et il fut décidé de représenter dans cinq ans la vie des martyrs auxquels on était redevable.

L’année suivante, la ville de Romans-sur-Isère fut envahie par une peste, qui s’annonçait avec les signes les plus alarmants. Déjà, pendant le cours du siècle précédent, elle s’était vue exposée à plusieurs reprises, et surtout en 1494, aux ravages de ce redoutable fléau. Quoiqu’on ne doive pas prendre à la lettre cette assertion de Chorier, dont il n’apporte aucune preuve, que les draps de Romans-sur-Isère tenaient “lieu de monnoye” par voie d’échange “dans les estats du Sophi et du Grand Seigneur”, les relations commerciales de cette ville avec Marseille et le Levant, où s’écoulaient en partie les produits de sa fabrication, n’en sont pas moins certaines, et on peut y trouver une explication plausible du retour fréquent de la peste. Une fois introduite dans la cité, la circulation de l’air gênée par des rues étroites et tortueuses et par des remparts élevés, l’ignorance des moyens d’hygiène et l’absence de médecins résidants, qui auraient pu du moins diminuer l’intensité du mal, toutes ces causes réunies l’y maintenaient longtemps et rendaient son action plus meurtrière.

Dès la fin de 1504, les alentours de Romans-sur-Isère étaient atteints. Le 15 juin 1505, le bourg d’Alixan passait pour infecté et on dut s’opposer à l’entrée des pauvres, qui se présentaient en grand nombre aux portes de la ville. En octobre on engagea, à trois florins par mois, Claude Martin pour enterrer les pestiférés et servir les malades. Les consuls prirent, dans le même mois, diverses mesures de police sanitaire, qui semblent avec la saison des frimas avoir arrêté l’épidémie.

Elle reparut l’année suivante et, dès le 1er mai, le chapitre crut devoir permettre aux gens d’Eglise de fuir pour un temps le foyer de la contagion. Le même jour, la ville prit, aux gages de six florins par mois, un chirurgien-barbier, Jean Meyssonnier (1), pour soigner les pestiférés : il tomba lui-même malade au bout de quatre mois.

Cette fois la peste continua sans interruption ses ravages. En janvier 1507, on songea à isoler des gens sains les malades, en réunissant ceux-ci dans l’hôpital du Colombier : les consuls venaient de l’agrandir d’un verger acquis de Gaspard Milliard et se proposaient d’y faire toutes les réparations nécessaires. Sur l’opposition du maître d’école, Pierre de Peyrusse, et des paroissiens de Saint-Nicolas, qui faisaient valoir des raisons d’hygiène, on accepta une transaction réglée par deux membres du Parlement. Vers la fin de mars passa un médecin polonais qui se disait inventeur d’une poudre infaillible contre la peste : on acheta neuf florins son secret, qui fut couché sur les Mémoriaux de la cité. Il n’eut pas l’efficacité qu’on se promettait, car on dut recourir à d’autres moyens. Le chapitre résidait toujours hors de la ville. Le 3 juillet, on le décida de contribuer à la construction d’un hôpital provisoire au Sablon, près du vivier entre les tours de Saint-Nicolas et de la Bistour, et d’implorer la miséricorde divine par une série d’exercices de piété, dont le programme ne nous a pas été transmis. Nous savons cependant qu’une confrérie fut instituée en l’honneur de saint Barnard et des trois martyrs, patrons de la cité, et que “faict requeste à yceulx, cessast incontinant la dicte peste, estant au moys d’oust fort afoguée” (violente).

Bien qu’on ne doive pas lui attribuer le chiffre de 4 275 décès, indiqué par Dochier, elle laissa dans Romans-sur-Isère des traces profondes de son ravage. L’année suivante, à l’entrée de la saison des chaleurs, époque où le fléau se ranimé ordinairement, les craintes n’étaient point complètement dissipées ; l’apparition de quelques cas isolés dans les bourgades environnantes engageait à ne pas négliger les précautions de la prudence, et nous voyons, le 4 mai 1508, le conseil de la ville interdire pendant plusieurs jours toute communication avec Valence.

La sécurité revint enfin, et les romanais, heureux d’avoir échappé à un danger aussi imminent, songèrent à témoigner leur reconnaissance à Dieu et aux martyrs Séverin, Exupère et Félicien, dont ils avaient deux fois invoqué la puissante intercession. Les reliques de ces généreux confesseurs de la foi, que saint Barnard avaient transférées de Vienne à l’église de Romans-sur-Isère dès sa fondation, y reposaient enfermées dans une châsse consacrée par la vénération des fidèles ; c’était donc une pensée populaire et pieuse que de célébrer leur martyre, et de reproduire aux yeux de tous les actes de leur vie et le tableau de leurs glorieux tourments.

III

La résolution prise, on dut s’occuper des moyens d’exécution pour une oeuvre qui demandait beaucoup de temps, de soins et d’argent.

On était en juillet 1508. On voulait que la pièce pût être jouée aux fêtes de la Pentecôte de l’an 1509, c’est-à-dire à la fin de mai suivant. Dix mois pour composer le livre du Mystère, pour distribuer et apprendre les rôles, pour construire le théatre et le garnir des décorations nécessaires, ce n’était pas trop ; mais le zèle de toutes les classes de la population, excité par le motif religieux, suffit à cette tâche ; le Mystère dut représenté à l’époque que l’on s’était prescrite.

Voici l’exposé des événements qui s’écoulèrent durant ces dix mois et des incidents divers auxquels le Mystère des trois Doms donna lieu.

Le 4 juillet 1508, les membres du chapitre de Saint-Barnard, les consuls et plusieurs habitants notables de Romans-sur-Isère, réunis en assemblée générale, arrêtent unanimement de faire représenter aux prochaines fêtes de Pentecôte le Jeu des Trois Martyrs Séverin, Exupère et Félicien, patrons de l’église et de la cité. Le chapitre prend à sa charge une moitié de la dépense et la ville l’autre. Les religieux de Saint-François, les PP. Cordeliers, jaloux de témoigner leur empressement et de s’associer à cette oeuvre pieuse, offrent la cour de leur couvent, local très favorable pour y construire le théatre. Ils contribuent également de leurs deniers, en avançant aux consuls une somme de 200 florins, qui vint fort à propos en aide aux finances de la communauté, très obérées par les sacrifices que lui avaient imposés les ravages de la peste et les calamités de toute espèce que ce fléau traîne à sa suite. Le conseil de la ville avait déjà fait un appel aux diverses Confréries : celle de Saint-Sébastien, de Notre-Dame-de-Grâce, de Saint-Barnard et des Marchands (qu’on appelait l’abbaye, abbatia Mercatorum) apportèrent leur contribution ; celles de Saint-Jacques et de Saint-Crépin, déjà créancières de la ville, ne purent suivre cet exemple.

Pour surveiller l’ensemble et les détails de cette oeuvre importante, neuf commissaires sont désignés, trois par le chapitre, deux par la chapelle Saint-Maurice et quatre par la ville : les premiers sont messire Jean Gillier, maître de choeur, messires Benoît Chastillon et Jean Varse, chanoines ; les seconds, Claude Conton, habitué, et Antoine de Saint-Pierre, sous-clavier ; les derniers, Louis Perrier, licencié en droit et juge, Jean Alexe, Claude de Dril et Giraud Chastaing. L’assemblée, avant de se séparer, donne mission au chanoine Pra, de Grenoble, de faire le livre du jeu des Trois Martyrs : elle lui assigne à titre d’honoraires une somme de 150 florins par mois pour sa dépense personnelle à Romans-sur-Isère, et pour celle de son clerc ou secrétaire.

Le nom du chanoine Pra (on devrait plutôt l’appeler du Pré, en latin de Prato) n’est pas de ceux qui ont traversé les siècles avec une auréole de glorieuse notoriété. C’était toutefois un des personnages considérables de la ville de Grenoble. Les registres du chapitre de Notre-Dame mentionnent dans l’année 1494, Siboud Pra, Siboudus de Prato, parmi les chanoines signataires d’une délibération rédigée en latin ; et c’est avec le titre de chanoine de cette collégiale qu’il est désigné comme témoin dans un contrat de 1508. Si nous consultons les délibérations consulaires de Grenoble, nous voyons Siboud Pra faire partie, le 26 novembre 1497, du comité chargé d’organiser la réception du gouverneur Jean de Foix. Six ans après son séjour à Romans-sur-Isère, nous le retrouvons à Grenoble, en 1515, comme ordonnateur des préparatifs pour les entrées du duc et de la duchesse de Longueville, de François Ier et du duc de Bourbon ; l’année suivante, il préside à la brillante réception faite à la reine Claude. Bien que les registres consulaires ne le disent pas positivement, il y a tout lieu de croire que le chanoine Pra fut l’auteur des “histoires” dont on agrémenta ces fêtes publiques ; en revanche ils nous apprennent combien ses services furent précieux et intelligents. Enfin le chanoine-poète était un calligraphe distingué : on lui doit la copie d’un certain nombre de terriers de l’église Notre-Dame de Grenoble, comme le prouve la mention suivante inscrite sur l’un d’eux : fuit satisfactum domino de Prato, de labore suo in faciende hunc librum.

Le chanoine Pra se met aussitôt à l’ouvrage ; il divise son sujet en trois journées. Moins de six semaines après, le 14 août, il arrive à Romans-sur-Isère, apportant “ce qu’il avait fait au livre du premier jour”. Les commissaires se réunissent, le lendemain, à la maison de la ville pour en entendre la lecture. Il paraît qu’ils n’en furent pas satisfaits, car le même jour, 15 août, ils dépêchent un exprès à maître Chevalet, fatiste ou poète de Vienne, pour l’engager à se rendre à Romans-sur-Isère et à travailler comme “coadjuteur” avec le chanoine Pra au livre des Trois Martyrs.

Il ne s’agit plus ici, comme tout à l’heure, d’un personnage obscur ; Chevalet eut, de son vivant, une certaine célébrité. A vrai dire, Du Verdier, qui écrivait à la fin du siècle dont le commencement avait vu fleurir Chevalet, le connait à peine, et dit que “son nom propre lui est incertain” (2). Toutefois, il ne faudrait pas en tirer une conséquence trop rigoureuse contre le talent du poète ; deux causes, indépendantes jusqu’à un certain point du mérite de ses oeuvres, avaient agi pendant cet intervalle et contribué puissamment à ce résultat : la réforme dans les idées religieuses, qui avait décrédité particulièrement ce genre de composition, et le goût du public, qui l’avait banni de la scène.

En 1508, Claude Chevalet était en possession d’une réputation qu’il devait à plus d’une heureuse tentative, et qui lui valut l’honorable message des habitants de Romans-sur-Isère. Par une conjecture, qui semble sérieusesement fondée – la ville qui a été le berceau du fatiste a du être également le théatre de ses essais, – nous lui avons attribué la paternité des “histoires” représentées à Vienne le 1er décembre 1490, jour où Charles VIII arrivait dans cette ville. Chevalet fut chargé de la “poetrie et versification” du mystère joué à Lyon, lors de l’entrée du même prince, le 6 mars 1494.

Il est plusieurs fois question de lui dans les délibérations consulaires de Valence. En 1500, il composa pour les valentinois un Mystère des trois martyrs Félix, Fortunat et Achillée, protecteurs de leur cité. En janvier 1506, on envoie de cette même ville des messagers à Vienne pour prier Claude Chevalet ou, à son défaut, un autre poète compétent, de venir préparer des farces en l’honneur de l’évêque Gaspard de Tournon, qui devait faire prochainement son entrée à Valence : Chevalet accepta, mais il ne voulut pas finir son travail avant d’avoir réglé avec les consuls la rétribution qu’on lui payerait.

Il nous sera encore permis, sans trop de témérité, d’attribuer, avec M. Delorme, à Chevalet le Mystère de la vie et du martyre des saints Zacharie et Phocas, qui fut joué à Vienne la même année 1506. Il l’aurait fait pour les moines de l’abbaye de Saint-Pierre, qui proposèrent eux-mêmes aux consuls de la ville la représentation de ce jeu dont ils avaient, disaient-ils, le livre achevé dans toutes ses parties. Il est peut-être aussi l’auteur d’une Passion en huit journées, donnée quatre ans plus tard, en 1510, dans le jardin de la même abbaye de Saint-Pierre, avec une magnificence et un succès que les registres consulaires de Vienne ne nous ont pas laissé ignorer.

Enfin, postérieurement à la date de notre mystère et du mystère de la Passion, Chevalet fit représenter à Grenoble, en 1527, le fameux Mystère de saint Christophe. Trois ans plus tard, cette oeuvre obtenait les honneurs de l’impression. Ce mystère dut être son dernier ouvrage, et déjà à l’époque de l’impression Chevalet n’existait plus. La qualification qui lui est donnée dans le titre de cette pièce : jadis souverain maître en telle compositure, prouve à la fois sa mort et la célébrité dont il jouissait de son vivant.

On comprend l’impatience avec laquelle un personnage aussi renommé était attendu à Romans-sur-Isère, et tout le fruit qu’on s’y promettait de sa coopération. Il y vint, y passa quelques jours, et n’y fit rien. Sans doute son esprit indépendant ne put se plier au joug d’un travail commun. Chevalet, avec tous les défauts de son temps, qu’il outre encore, trivial, grossier, obscène, montre cependant dans le seul ouvrage qui nous reste de lui, une versification facile, de l’imagination, de la verve et un penchant décidé pour la satire, toutes qualités qui expliquent fort bien son éloignement pour composer en société et pour se faire, comme on le désirait, le “coadjuteur” d’autrui. Aussi, après un séjour d’une semaine environ, reprit-il le chemin de Vienne, “pour ce qu’il ne volit pas”, dit naïvement le manuscrit, “besoigner avec le chanoine Pra”, et une indemnité de 10 florins 8 sols, non compris sa dépense, lui fut comptée pour son voyage. Nous verrons bientôt que malgré ce refus on eut encore recours à lui.

Voilà donc le chanoine Pra réduit à ses propres inspirations, dont il n’était pas même tout à fait le maître, et qu’il devait soumettre de temps en temps aux lumières et au contrôle des commissaires romanais : singulière manière de travailler pour un écrivain, surtout pour un poète, et qui est probablement entrée pour beaucoup dans la détermination prise par Chevalet, mais le bon chanoine s’y conformait avec une entière docilité. A mesure qu’un livre était achevé, les commissaires s’assemblaient à la maison de la ville, et là, le chanoine Pra leur en donnait connaissance. C’était ce qu’on appelait “visiter le livre”. Ces “visites” furent assez répétées et accompagnées sans doute de nombreuses observations critiques, car nous voyons un article de dépense, le 28 janvier, pour relever plusieurs “fautes au livre du second jour” et, vers la fin de février, des séances où l’on a vaqué “jours et nuits” pour “adresser” les livres du jeu, c’est-à-dire pour y opérer les changements et les rectifications nécessaires. Le pauvre auteur devait faire là une triste figure, et son manuscrit devait sortir tout mutilé d’une si rude épreuve. Les corrections qu’on lui fit subir furent telles, qu’il fallut le recopier en entier et refaire les rôles des trois jours ; et il fut alloué à Pra, indépendamment de ses honoraires, une somme de neuf florins, juste rémunération de ce surcroît de travail.

Enfin, vers les premiers jours de mars, la pièce était complète ; les trois livres purent être transcrits sur la minute de l’auteur par trois notaires qui reçurent pour cette tâche un égal salaire de 28 sols chacun. C’est à ce moment que les rôles durent être distribués.

On sait, et les exemples abondent à l’appui, que l’empressement était grand à figurer dans ces représentations solennelles : ecclésiastiques et séculiers, nobles et bourgeois, artisans eux-mêmes, tous y apportaient leur concours. C’est ce qui a fait “dire que la moitié d’une ville était chargée d’amuser l’autre”. Le nombre considérable de personnages, dont se composaient ordinairement ces drames, permettait de satisfaire à beaucoup de demandes et laissait une grande latitude dans la répartition des rôles ; on en comptait 98 pour le Mystère de la vie des Trois Martyrs, et 36 dans la Translation qui suivait.

Grâce au manuscrit original du Mystère nous connaissons “les noms et surnoms” de tous ceux qui remplirent les rôles. Les acteurs appartiennent aux premières maisons de la ville. C’est le maître de la monnaie, Giraud Chastaing ; le juge de la ville, messire Louis Perrier ; quatre nobles : Etienne Combe, Humbert Odoard, Guillaume Tardivon et Claude Gateblet ; le curé de Saint-Barnard, messire Antoine de Saint-Pierre ; un cordelier, frère Cago ; “monsieur” le chanoine Chastillon ; enfin l’official lui-même, Charles Veilheu, c’est-à-dire l’ecclésiastique chargé des pouvoirs de l’archevêque de Vienne à Romans-sur-Isère, et l’un des plus importants personnages de la cité, non seulement avait accepté un rôle, mais encore avait mis sa salle d’audience à la disposition des commissaires pour les répétitions. C’est qu’en effet jouer un Mystère était aux yeux du peuple un acte pieux, et ceux qui pouvaient y tenir utilement leur place se faisaient un devoir et un point d’honneur religieux d’y paraître.

IV

Nous allons maintenant laisser un peu nos acteurs étudier leurs rôles et se préparer pour le jour solennel de la représentation, et nous nous occuperons du théatre même sur lequel ils devaient s’essayer, et de la partie pour ainsi dire matérielle du jeu.

Elle n’avait point été négligée par les commissaires. Dès le 30 décembre 1508, un marché avait été passé avec trois chappuis (charpentiers) de Romans-sur-Isère : Jean Lambert, dit Caffiot, Jean Roux et Pierre Pérat, qui s’obligeaint à construire les échafauds et la plate-forme pour le Mystère des Trois Martyrs, ainsi que les châteaux, villes, tours, tournelles, paradis, enfer ; à fournir les grosses pièces pour les piliers des tentes et généralement tous les ouvrages en bois concernant les feintes ou décorations, moyennant le prix de 412 florins.

Ces travaux devaient être établis dans la cour du couvent des Cordeliers, emplacement offert, comme nous l’avons déjà vu, par les religieux et accepté par la ville. Ce local a peu changé depuis trois siècles ; son nom a même survécu dans le langage ordinaire à la destruction du monastère, mais ses alentours et sa destination se sont singulièrement modifiés. Aujourd’hui c’est une promenade fréquentée, qui se lie par des sentiers habilement ménagés à la promenade supérieure, et sur laquelle s’ouvrent nos établissements publics les plus importants : la justice de paix, les postes et télégraphes, le tribunal de commerce, la mairie, le collège communal d’un côté, et, de l’autre, la salle de spectacle ; c’est aussi, à certaines époques, le champ de bataille électoral de l’arrondissement : en un mot, c’est le centre du mouvement administratif de notre cité.

Il n’en était pas de même au commencement du XVIè siècle. La cour des Cordeliers, silencieuse alors et isolée du tumulte, était fermée au couchant, par une haute muraille ; au midi, par un vivier ; au nord, par une muraille aussi, à la place de l’Hôtel-de-Ville actuel ; et derrière, sur le côteau, une vigne, embrassant notre Champ-de-Mars et appartenant aux Pères, s’étendait jusqu’au pied des remparts. Le fond, dans la partie orientale, en avant du lieu où est à présent le théatre, était occupé par le couvent et par l’église de Saint-François, grand et bel édifice dont la construction remontait à la dernière moitié du XIIIè siècle. Des ormes, plantés de distance en distance, abritaient contre la chaleur les religieux qui venaient se reposer sous leur ombrage, et peut-être y méditer la parole de Dieu, dont plusieurs étaient, en ce temps-là, de zélés interprètes. Le choix de ce local, pour y jouer le Mystère des Trois Martyrs, vint faire une diversion momentanée au calme habituel qui y régnait, et pendant quelques mois la cour présenta l’aspect d’un vaste chantier où des ouvriers nombreux, et de professions diverses, concouraient à l’envi par leurs travaux variés au but commun, à l’érection et à l’ornementation du théatre.

Quelle était la forme de ce théatre ? L’art du machiniste était alors trop rudimentaire pour répondre aux exigences de la perpétuelle mobilité de l’action, et produire des changements à vue presque sans discontinuité. Il fallait donc, en dépit de toute vraisemblance, que le théatre offrit simultanément tous les lieux où les péripéties de l’action pouvaient conduire les personnages : paradis, enfer, temples, palais, chaumières, places publiques, villes, campagnes et déserts. Le moyen le plus simple de réaliser ce cadastre dramatique, c’était de disposer toutes ces décorations sur une ligne, comme les tableaux divers composant une galerie. Dans ces conditions, on comprend que le théatre devait parfois atteindre en largeur des dimensions excessives. Aussi les historiens de nos antiquités dramatiques ont-ils généralement cru à l’existence d’étages superposés. Les frères Parfaict, Emile Morice lui-même, que nous venons de citer presque textuellement, se figuraient le théatre des Mystères comme “une maison haute de cinq ou six étages, subdivisée en un grand nombre de pièces, et dont la façade totalement enlevée laisse voir de haut en bas tout l’intérieur diversement décoré”. Cette hypothèse, absolument dénuée de toute preuve tirée des documents, a été attaquée en 1855 par M. Paulin Paris et définitivement écartée par M. Petit de Julleville.

Inutile donc de supposer un instant que ce mode de construction ait été employé à Romans-sur-Isère. Au surplus, le Mystère des trois Doms ne saurait se comparer par son étendue et son importance à ces oeuvres colossales de la Passion, du Vieil Testament, des Actes des Apôtres, dans lesquelles le nombre des lieux distincts à reproduire ne s’élève pas à moins d’une centaine, et dont la représentation se prolongeait quelquefois près d’un mois. Ses proportions plus modestes permettaient parfaitement de se contenter d’une scène de plein-pied, sur laquelle venaient se ranger, se juxtaposer en quelque sorte les différents tableaux du jeu. Nulle part dans notre manuscrit il n’est question d’étages, et ce mot existait cependant alors avec sa signification actuelle. Le marché conclu avec les charpentiers les oblige seulement à construire une plate-forme (c’est la scène qui est toujours désignée ainsi), avec les tours, tournelles, châteaux, villes et autres lieux qui doivent y figurer, à côté et non au-dessus les uns des autres ; et les échafauds, c’est-à-dire les gradins destinés au public : c’est le sens évident de ce mot “échafaud”, remplacé en quelques endroits du mémoire, comme un équivalent, par celui de pentes.

D’après les diverses données des documents, nous pouvons nous faire une idée assez exacte de l’ensemble de ce spectacle : il doit avoir été disposé dans le sens de la longueur et non pas de la largeur de la cour, afin de ménager plus de développement à la scène et d’en moins éloigner les spectateurs. La plate-forme fut construite au milieu du “plassage”, vers le côté méridional. Elle était élevée sur piliers, mesurait 36 pas ou 18 toises de long et la moitié de ces dimensions de large ; une clôture en liteaux treillissés servait de barrière. Séparés de la plate-forme par un espace de 2 à 3 pieds, les échafauds s’élevaient circulairement par degrés vers le nord et tout à l’entour, sur une profondeur de 6 toises. Au-dessus des “pentes” et comme couronnement de l’amphithéatre, régnèrent quatre-ving-quatre chambres ou loges, fermant à clef, avec une barrière “sur le regard du jeu pour garder de tumber et une post à travers à cause des petits enfants” ; on y parvenait par un escalier donnant sur une galerie, aux deux bouts de laquelle était un “retrait”. La plate-forme était cantonnée de quatre “belles” tours, dont trois figuraient les parties du monde : l’Europe, l’Asie et l’Afrique, et la quatrième une prison ; au milieu, les trois villes de Rome, de Lyon et de Vienne, où se passaient les principaux événements du drame. Au levant, mais à un niveau plus élevé, était placé le Paradis, pour lequel on réservait ordinairement tout le luxe des décorations ; et au couchant l’Enfer, avec sa gorge profonde qui s’ouvrait de temps en temps pour laisser passage aux démons. Une immense tente en toile, fixée de trois côtés par des cordages à d’énormes piliers en bois, et du quatrième arrêtée par des crochets en fer au mur de l’église des Cordeliers, recouvrait tout cet espace et garantissait l’assemblée et la scène de l’ardeur du soleil et des atteintes de la pluie.

Aux travaux des charpentiers se joignirent ceux du peintre décorateur. On l’avait fait venir d’Annonay au commencement de 1509 ; il se nommait François Thévenot, mais dans le mémoire il est presque toujours appelé “mestre Francès lo peyntre”. On lui alloua comme salaire la somme de 100 florins, outre sa dépense personnelle. Il était chargé de peindre toutes les feintes ou décors ; on lui fournissait les couleurs et les ingrédients nécessaires, dont il se pourvut en grande partie à Lyon. Près de quatre mois furent employés à cet ouvrage, qui était achevé dans les premiers jours de mai, à l’époque où se fit la montre du jeu. Quelques temps auparavant, vers le 4 avril, la besogne n’avançant pas au gré de l’impatience des romanais, les commissaires, dans la crainte qu’elle ne pût être terminée à temps, avaient appelé de Vienne – c’est toujours à cette ville qu’on avait recours – un autre peintre, dont on ne donne pas le nom, pour seconder maître François ; mais il paraît que celui-ci redoubla de zèle et d’activité et promit de suffire seul à sa tâche, car le nouveau venu fut remercié et la ville en fut pour les frais du voyage.

Au reste, ce n’était pas un médiocre artiste que François Thévenot. Il figure plusieurs fois dans les annales romanaises. A l’époque du Mystère, les consuls avaient déjà expérimenté ses talents : une peinture destinée à être mise devant la maison de ville lui fut payée 28 florins le 16 septembre 1508. Louis XII étant venu en 1511 “dans le pays des trois Doms”, Thévenot déploya les secrets de son art pour flatter les yeux du royal visiteur. L’année suivante, il peignit les armoiries du seigneur de Saint-Vallier, à l’occasion de sa venue. En 1514, il entreprit pour la maladrerie de Voley un retable, avec un tableau représentant le mauvais riche ; il reçut pour cette oeuvre la somme, alors considérable, de 60 florins, laquelle ne lui fut complétée que le 20 octobre 1518. Le pieux Romanet Boffin poursuivait alors avec ardeur l’érection d’un calvaire à Romans-sur-Isère : M. le docteur Chevalier attribue à notre peintre les “ystoyres” qui furent mises à la porte de la tour du pont, – station correspondant à la porte dorée de Jérusalem, – par autorisation du 25 février 1517. En 1526, Huet, consul de Valence, vint à Romans-sur-Isère s’entendre avec Thévenot pour se procurer du bois, destiné à être employé pour la représentation du Mystère des saints Félix, Fortunat et Achillée. Les romanais lui confièrent, en 1533, le soin de graver les coins de quatre médailles différentes, frappées en l’honneur de François Ier, de la reine, du dauphin et du comte de Saint-Pol. Enfin, maître François fit, en 1536, à la requête du gouverneur de la province, le “portrait” (plan) de la ville de Romans-sur-Isère, lequel fut porté à Grenoble. On le voit, le peintre d’Annonay, sans être un rival de Raphaël, son contemporain, eut son heure de notoriété, et il est grand les nombre des imagiers, peintres et autres artistes d’alors qui nous sont moins connus. Il figure encore dans les registres consulaires en 1540 et dans ceux des tailles en 1543 et 1546.

Voilà pour la partie décorative ! Quant aux pièces en fer, nécessaires au mouvement des machines compliquées du genre de spectacle qui nous occupe, le mémoire nous apprend que le plus grand nombre sortit des ateliers d’un mécanicien de Romans-sur-Isère, maître Amieu Grégoire, mais celles d’une exécution plus difficile furent l’oeuvre de Jean Rosier, horloger d’Annonay, que son compatriote, le peintre François, désigna sans doute au choix des commissaires et qui fit, est-il dit, les feintes de fer. C’était le véritable machiniste ; il reçut 33 florins pour son salaire.

V

Pendant qu’artistes et ouvriers, sous la direction de Sanche Dijon, consacraient tout leur temps à l’établissement et à la décoration du théatre, les acteurs s’appliquaient à l’étude de leurs rôles et exerçaient leur mémoire par des répétitions fréquentes.

Du 23 décembre 1508 au 29 avril 1509, on en compte onze, toutes suivies de la collation d’usage : c’étaient des “foyasses” (galettes), du vin, des fruits. Nous savons en effet que la moindre réunion pour le moindre sujet, soit à la maison de ville, soit ailleurs, était alors accompagnée de ces rafraîchissements obligés. Ces répétitions ou recors avaient lieu, comme nous l’avons dit, à l’officialité ; le magistrat qui présidait à ce tribunal et y rendait la justice au nom de l’archevêque, acteur lui-même dans la pièce, se prêtait avec empressement à en faciliter la réprésentation.

Le costume était aussi l’objet de la sollicitude particulière des acteurs. Il devait être à leur charge ; car cette dépense, évidemment fort considérable pour les 98 personnages du Mystère, ne se voit nulle part dans le compte général. On y trouve bien quelques fournitures payées des fonds de la masse et remises, est-il dit, à tel ou tel pour sa feinte ; mais on remarquera que la plupart de ceux qui les reçoivent sont des plus importants de la cité, et il n’est pas probable qu’ils les aient employées à leur usage personnel. Indépendamment des rôles réels de la pièce, le théatre présentait des personnages muets figurés par des mannequins ; ces “corps feints”, fabriqués à grands frais, étaient comme un dédoublement des martyrs de Rome et de Vienne pour le moment de leur exécution. C’est exclusivement pour cette destination que les chaussures et étoffes en question avaient été achetées, et elles sont mises dans le compte sous le nom de l’acteur principal de la scène à laquelle appartenaient ces rôles. Hors ces rares exceptions, on peut affirmer que tous ceux qui ont joué dans la pièce se sont habillés et “accoutrés”, comme on disait alors, à leurs frais.

Au commencement de mai, grâce à l’activité déployée jusque-là, tout était disposé pour faire la montre du jeu. Bien différente du cry ou proclamation qui se faisait au début avant l’étude du Mystère, et qui avait pour objet principal d’en donner connaissance au public et de trouver des acteurs capables et de bonne volonté, la montre supposait les préparatifs de la mise en scène presque achevés, les rôles distribués et appris, la pièce sur le point d’être jouée. C’était en quelque sorte, un échantillon offert aux yeux du peuple de toutes les magnificences que l’on devait prochainement étaler à la représentation véritable du Mystère. A un jour fixé – à Romans-sur-Isère ce fut le 6 mai, – tous les acteurs, à cheval et revêtus de leurs costumes, se réunissaient au son de la trompette et au branle de toutes les cloches ; cette brillante cavalcade parcourait ainsi la ville, s’arrêtant de temps en temps sur les principales places, et annonçant officiellement à la foule ce que celle-ci savait déjà depuis longtemps : le sujet du drame, l’époque du jeu, et sans doute aussi le prix des places et toutes les mesures de police arrêtées pour les trois journées. Notre mémoire ne parle des “montres du geu” qu’accidentellement, à l’occasion d’une collation qu’on n’aurait eu garde d’oublier ce jour-là, et qui s’y trouve portée comme article de dépense : mais on peut suppléer à son silence par l’épilogue du Mystère. Au dire du juge Perrier, tout fut d’une richesse inouïe : les personnages émerveillèrent tous la ville par leurs “acostremans” en draps d’or, d’argent, de satin, de velours et de soie “buffés” d’argent ; le public estima à “cent mille escus et plus” leurs bagues et pierreries.

Le lendemain de la montre, le 7 mai, eut lieu le dernier “recort”, la répétition générale. Là, un scrupule un peu tardif s’empara des commissaires. L’oeuvre du chanoine Pra, même après avoir été si souvent retouchée, leur parut demander, dans certaines parties du moins, un nouveau remaniement : à leur avis, les rôles des quatres “tyrans” laissaient encore à désirer. On résolut de les faire “radouber”, c’est-à-dire de les renforcer ; et, malgré le refus récent de Chevalet de coopérer au Mystère des trois Doms, ce fut encore à lui qu’on eut recours en cette circonstance, tant était grande, il faut le reconnaître, la réputation dont il jouissait à cette époque. Etienne Combe des Coppes, noble romanais, lui fut donc député à Vienne ; il y passa quatre jours, et cette fois le poète se prêta certainement au travail qu’on lui demandait, puisque le compte porte sept florins “baylhés à mestre Chevallet”, indépendamment de quelques repas pris par lui et payés à part.

Sur quels points portaient ces changements ? Il est facile de nous en rendre compte, car le fatiste viennois transcrivit (ou fit transcrire) ses corrections à la marge du texte ou sur des feuillets intercalés dans le manuscrit et de plus petit format que les pages de l’oeuvre du chanoine Pra. Il ne retoucha pas seulement le rôle des “tyrans”, comme on pourrait le conclure du texte visé plus haut. Toutefois ces rôles, ou d’autres identiques par le fond de comique et d’expressions saupoudrées d’un gros sel, furent de sa part l’objet d’un soin spécial. Enfin nous apprenons, par un article de la dépense de Combez, qu’au retour d’une excursion à Lyon il fit corriger par Chevalet son rôle particulier en “aulcuns passages” ; ce “rhabillage”, comme il l’appelle lui-même, dans la note écrite et signée de sa main et annexée au compte général, lui coûta un teston. Etienne Combez figurait Brisebarre, le premier “tyran”.

Chevalet aurait-il également rédigé les rubriques du Mystère, ou notes marginales indicatives des jeux d’instruments, entrées en scène de nouveaux personnages, départs de messagers, etc. ? On ne sera guère porté à le croire, bien que la même plume qui a fixé sur le papier ses modifications et retouches semble avoir écrit ces rubriques, – généralement en français, parfois en latin. La Translation qui fait suite au Mystère et qu’on décida, au dernier moment, de ne pas représenter, n’offre pas ces indications théatrales : c’est donc après coup qu’elles ont été rédigées.

Ce qui est hors de doute, ce sont les noms des scribes du chanoine Pra. Les vers de la première journée ont été copiés par maître Perdichon, ceux de la seconde par maître Jacques Beille, enfin ceux de la troisième, qui comprenait primitivement la Translation, par Guiart Rostaing, notaire de Romans-sur-Isère, comme les deux premiers.

Les derniers jours qui précédèrent les fêtes de Pentecôte furent employés à terminer les préparatifs pour le jeu du Mystère. Le 15 mai, les commissaires, en personnes prudentes et avisées, font visiter par deux maîtres charpentiers pris hors de la localité, l’un à St-Marcelin, l’autre à St-Antoine, les échafauds et le théatre, afin de s’assurer de la parfaite solidité de l’ouvrage, auquel cette épreuve fut favorable. Une sentinelle est établie à la porte principale de l’enceinte, avec mission d’en écarter les simples curieux et d’en permettre l’accès aux seuls ouvriers que la foule trop empressée aurait génés dans leurs travaux. Enfin arrive le grand jour de la représentation.

Pendant que le souffleur – dont l’importance est manifeste si l’on tient compte du peu de temps qu’on eut pour apprendre et étudier les rôles – aide puissamment les nombreux acteurs, suivons, nous aussi, scène par scène les péripéties de notre drame. La représentation doit durer trois jours : il a fallu combiner la pièce de façon à donner un tout complet durant ce laps de temps. Aussi a-t-on exactement délimité la part qu’on doit jouer chaque matin et celle qui est réservée pour les après-dînées. A la dernière heure on a reconnu que le Mystère est trop long. Que faire ? On se hâte de syncoper la trilogie – pourtant si amusante – de Baudet, Malenpoint et Blondette (vers 5416-618), et l’on retranche la Translation qui devait remplir la troisième soirée. De plus on échancre une partie de la seconde journée qui, jointe à la portion fixée pour la matinée de la troisième, occupera le dernier jour tout entier. L’orchestre, qui a donné des aubades le jour de la montre, est des plus simples. A s’en tenir au mémoire, quatre trompettes amenées à grands frais d’un pays étranger, de Valréas (Vaucluse), et quatre tambourins pris dans la ville, auraient composé toute la musique du jeu. Cependant il est probable que d’autres instruments en faisaient partie. L’orgue, qui figurait d’ordinaire dans le Paradis comme accompagnement indispensable des chants célestes, n’a pas manqué à la représentation de ce Mystère ; seulement le Chapitre l’aura peut-être offert sans en réclamer le loyer, et le compte, qui se borne à rapporter les sommes payées ou reçues, n’en a pas fait mention.

VI

On vient de parcourir le texte du Mystère des trois Doms, de lire au moins l’ample analyse par actes et par scènes insérées dans l’introduction. En tenterons-nous ici une appréciation d’ensemble ?

La chose ne demande pas de longs développements. Tout ce qui a été dit de la valeur des mystères en général s’applique parfaitement à celui des saints Séverin, Exupère et Félicien en particulier.

Faiblesse du plan, enchevêtrement des faits, anachronismes singuliers, tout cela s’y trouve successivement ou même à la fois. L’expression surtout atteint souvent la grossièreté la plus odieuse. Pra ne s’était pas fait faute d’user de locutions mieux faites pour réjouir les basses classes que pour charmer les délicats. Chevalet se garda bien d’émonder ces trivialités choquantes. Dans son Saint Christophe, il se gêne si peu pour employer “les termes de l’argot”, que La Monnoye – écrivain peu scrupuleux pourtant – l’en blâme avec sévérité. Dans notre Mystère, il ne se montre pas plus réservé. Comment expliquer ces vocables mal sonnants ? Car il ne faut pas se le dissimuler, c’est dans les meilleures intentions, pour exciter la piété des fidèles et honorer les saints martyrs que cette représentation a lieu. Remarquons d’ailleurs avec un écrivain contemporain que, “si la vertu ne change point et si la morale chrétienne condamne toujours les mêmes vices, les hommes se font, suivant les temps, une idée bien différente des convenances extérieures, des bienséances du style et de la pudeur dans le discours. Il ya des époques et des gens qui bravent l’honnêteté dans les mots en l’observant dans les actions, tout comme on voit des sociétés et des personnes très pudibondes sans être impudiques”.

Gardons-nous d’ailleurs d’outrer le mal. S’il y a beaucoup à redire dans le Mystère des trois Doms, si trop de scènes sont parsemées de mots de la rue, il est bon d’observer que c’est là le fait presque exclusif des personnages subalternes. Tout à côté – et ceux qui ont écrit sur les mystères ont peut-être trop gilssé sur cette observation – on rencontre des formules d’exquise politesse, qui touche même parfois à l’obséquiosité.

“Le parler a esté courtoys,
Amyable et savoureux”
(v. 10132-3) :

voilà l’idée qui se répète sous mille formes différentes et dans les situations les plus opposées, sur les lèvres des empereurs comme dans la bouche de leurs officiers et de leurs serviteurs, sans excepter les “tyrans” eux-mêmes. Tout ordre est exécuté “diligemment”, tout désir est accueilli “gracieusement” et “de bon coeur”.

Au point de vue littéraire, l’oeuvre du chanoine Pra offre quelques passages qui tranchent avec bonheur sur le fond languissant et monotone du drame. On n’y trouve pas de scène irréprochable : mais il en est qui sont heureuses par certains côtés, celles, par exemple, où la femme de l’empereur souffre de voir son fils Géta frustré de toute participation à la couronne (v. 416-41, 1278-312, 8349-81), celles où Séverin, Exupère et Félicien se laissent attendrir à la pensée des trois chrétiens mis à mort en haine de leur foi et ouvrent leur âme aux enseignements de la religion chrétienne (v. 3634-781), celle encore où ils résistent aux douces supplications de leurs parents désolés et se préparent à mourir pour Dieu (v. 8811-85). Il y a une gaieté d’assez bon crû dans l’incident du paresseux baudet qui se sent pris soudain d’une martiale ardeur, mais qui ne tarde guère de déposer sa rapière et de revenir à des goûts plus pacifiques (v. 5416-618). Citons aussi la translation tout entière, où le dialogue se dégage de ses longueurs accoutumées et marche droit au but avec aisance. Enfin il est de temps à autres d’heureuses trouvailles d’expressions, qui tranchent agréablement au milieu des banalités qui les entourent. Telle est cette observation d’un buveur :

“Faulte de boire
Vous rand ainsi la langue seiche”
(v. 2919-20) ;

la prière de Séverin nouvellement converti :

“Il convient ici que lermoye ;
Doulx Jhesus, veulles nous donner
Cognoyssance de ta montjoye,
Et nostre péché pardonner”
(v. 3734-7) ;

ou bien encore ce souhait de bonne nuit :

“La mère de Dieu gracieuse
Vous oultroye bonne nuyctée”
(v. 3955-6) ;

ou enfin ces deux vers empreints du sentiment de la nature :

“Sur la verdure, dans le parc de plaisance,
Nous cullerons chascun ung beau boucquet”
(v. 7151-2).

Malheureusement le martyre des trois amis – comme aussi celui des trois chrétiens dans la première journée – est décrit avec un raffinement de détails qui engendre une forte dose de dégoût et, de la sorte, un des effets principaux du drame est manqué.

En définitive le Mystère des trois Doms ne prendra point place parmi les chefs-d’oeuvre de l’esprit humain. Tel qu’il est pourtant, avec les défaillances, les longueurs et la pauvreté de style qui le caractérisent, cet ouvrage a dû atteindre son but, qui était d’arracher pour un moment toute une foule au prosaïsme de la vie vulgaire et de la mettre dans un contact plus intime avec les saints qu’elle aimait.

Nous n’hésitons pas à croire que les trois jours de la représentation de notre drame furent de ces jours qui font date dans l’existence d’une cité, et que leur souvenir se transmit avec une impression de joie vive et de patriotique fierté. “En sourtirent tous à honneur et grandissime loange”, dit triomphalement le juge Perrier. “La noblesse et belle compagnie” de Romans-sur-Isère et des environs, qui suivirent avidement la représentation, ne tarirent pas d’éloges sur le théatre et les acteurs.

Dans ses Annales – postérieures de quelques années seulement – Aymar du Rivail corrobore notre sentiment sur le bon accueil fait par les romanais à l’oeuvre du chanoine Pra ; il nous apprend en outre qu’il y eut à Romans-sur-Isère plusieurs représentations en l’honneur des saints Séverin, Exupère et Félicien. Mais est-ce l’oeuvre de Pra qui a eu les honneurs de diverses reprises, comme on dit aujourd’hui, ou bien de nouvelles pièces ont-elles été composées par des fatistes aussi habiles que lui ? Cette dernière supposition paraît invraisemblable : ce n’était pas un mince travail et une petite dépense que la composition d’un mystère en douze mille vers. Les romanais auront donc fait revivre sur la scène le drame de Pra, et, s’ils ont voulu le jouer à certains intervalles, c’est qu’à chaque fois ces vers, qui nous disent peu de chose aujourd’hui, trouvaient un écho dans leurs âmes et faisaient vibrer leur patriotisme religieux.

VII

En ce monde la poésie se heurte à la prose : à la suite des douces pensées et des radieuses imaginations vient l’austère réalité. On s’était diverti en assistant qu Mystère des trois Doms : il fallut songer à couvrir les dépenses importantes que cette fête avait occasionnées. Nous arrivons donc au détail de la recette des trois journées : ici rien n’est donné au hasard, tout est appuyé sur des chiffres.

Les chambres ou loges furent fixées à trois florins la chambre pour les trois jours. Il y en avait quatre-vingt quatre fermant à clef, mais on n’en porte en recette que soixante dix-neuf, cinq ayant été cédées gratuitement : une aux Pères Cordeliers, propriétaires du local ; une aux charpentiers, constructeurs du théatre ; une aux commissaires, dont ils n’usèrent pas et qui resta à louer ; une au peintre François Thévenot, qui la prit à compte “pour loger certains de ses amis” ; une enfin qui fit double emploi : Claude “Io pyner” (le peigneur de chanvre sans doute) les eut toutes deux pour une et profita de l’erreur. Les soixante dix-neuf chambres à 3 florins montent à 237 florins. Le 27 mai, le premier jour de Pentecôte, les échafauds ou gradins furent mis à un demi-sol “par personnage soit grand ou petit” : la recette fut de 153 florins 4 gros 1/2 ; le deuxième jour, le 28 mai, toujours à un demi-sol par personne, le produit fut un peu moindre, seulement de 130 florins ; le troisième jour, 29 mai, le prix des places maintenu à un demi-sol par tête, on arriva à 160 florins 7 gros 1/4. Le produit total de la représentation des trois jours fut donc de 680 florins 11 gros 3/4.

On peut calculer très approximativement, au moyen de ces chiffres, le nombre des spectateurs qui assistèrent à ces représentations. Celui de l’amphithéatre ou des gradins est positivement connu, savoir à vingt-quatre personnes par florin : pour le premier jour, 3680 ; pour le deuxième, 3120 ; et pour le troisième, 3847. Pour les chambres, la base de notre opération est moins assurée ; nous ne savons pas au juste combien elles contenaient de places, mais il est très probable, d’après le prix de trois florins pour les trois jours ou d’un florin par jour, qu’elles devaient en contenir moins de vingt-quatre, autrement on y eût été à meilleur marché qu’à l’amphithéatre, ce qui ne devait pas être. Ces chambres fermaient à clef, on pouvait y arriver à volonté ; on y était séparé du public et affranchi de la cohue et de la gêne : on doit donc raisonnablement croire que le prix en était plus élevé que celui des gradins. Si ces observations sont justes, il faut compter douze à quatorze places seulement par chambre, ce qui ferait sur les quatre-vingt-quatre toutes occupées, quoiqu’en réalité soixante-dix-neuf seulement aient figuré en argent dans la recette, une moyenne d’environ onze cents personnes. En les ajoutant au chiffre de chaque jour, nous aurons : pour le premier jour 4780 personnes ; pour le deuxième 4220 ; pour le troisième 4947 ; et en tout 13947 spectateurs.

Le produit des trois journées était d’un peu plus de 680 florins. Après la représentation, cette somme fut portée à environ 738 florins, par la vente à l’enchère de différents objets, débris du théatre et des décorations ; et cette recette fut loin de couvrir la dépense totale, dont voici le chiffre :

  Florins Sols Deniers
Payé aux charpentiers le prix fait du théatre 412    
Plus, à titre de supplément motivé par un surcroît de travail 30    
Payé depuis le 14 août 1508 jusqu’au 3 mars 1509 268 11 6
Du 3 mars au 26 mai 1509, veille de la représentation 352 2 7
Du 30 mai au 9 octobre 1509, jour du règlement définitif 673 10 1
       
Total 1737   2
A déduire de la recette 738 1 3
Reste à la charge du Chapitre et de la ville 998 10 11

 
Ainsi le Mystère joué à Romans-sur-Isère a coûté dix mois de travail et 1737 florins.

On sera, sans doute, bien aise de connaître la valeur de ces 1737 florins convertis en monnaie actuelle, et de se faire par là une idée de la dépense que représente aujourd’hui cette somme. Le florin de 1509 valait 12 francs 73 centimes. Ainsi, les 1737 florins 2 deniers font un total de 22120 francs 87 centimes.

  Florins Sols Deniers
Le chanoine Pra a reçu pour ses honoraires 255    
Chevalet 27 5 9
Les copistes, le papier compris 18 3  
Le théatre (bois, fer, etc.) a coûté 645 7  
Les décorations et machines 655 1 5
La musique du jeu 90    
Enfin, les dépenses générales 45 7  
       
Total 1737   2

 
Même sans admettre les comptes de l’auteur de la dernière Histoire du théatre en France, il demeure acquis que le budget du Mystère des trois Doms a été considérable. Romans-sur-Isère fit grandement les choses et n’hésita pas à payer cher un plaisir toujours apprécié des populations.

VIII

Avant de nous séparer des trois martyrs, dont le Mystère a retracé les glorieux combats, il nous paraît utile, après les avoir étudié dans la poésie, de reconstituer brièvement leur place dans l’histoire.

Le chanoine Pra – est-il besoin de le dire ? – n’a pas travaillé en érudit. Il a accepté de confiance les données qui avaient cours à son époque et s’est attaché à les développer telles quelles dans ses vers. Nous avons facilement retrouvé le document qui lui a servi de thème et sur lequel son drame a été calqué presque littéralement. Le Breviarium ad usum insignis ecclesie collegiate Beati Barnardi de Romanis de 1518 contient trois offices des saints Séverin, Exupère et Félicien, l’un de leur fête (19 novembre), l’autre de l’octave de cette fête (26 novembre), le troisième de la translation de leurs reliques à Romans-sur-Isère (2 octobre).

L’auteur de notre Mystère est en parfait accord avec eux. D’après les légendes du bréviaire de Saint-Barnard, comme d’après le récit poétique de Pra, Séverin, Exupère et Félicien sont trois habitants de la ville de Vienne qui souffrent le martyre durant la persécution de Marc-Aurèle. Pendant de longues années, leurs corps restent abandonnés à Brennier. Du temps de saint Paschase, évêque de Vienne, les martyrs apparaissent au diacre Tertius. A la suite de cette révélation, leurs reliques sont transférées en grande cérémonie dans une église du voisinage dédiée à saint Romain. Plus tard Barnard, archevêque de Vienne, les transporte au monastère qu’il vient de fonder à Romans-sur-Isère.

Il est impossible de reconstituer, en remontant le cours des âges, la filiation des diverses parties de ce récit, pris dans son intégrité. La source la plus ancienne paraît être le Martyrologium qu’Adon termina avant son élévation sur le siège de Vienne en 860. Les diverses éditions de ce texte ne nous apprennent rien sur le temps et >les circonstances du martyre des saints viennois. Nous en avons trouvé les premiers linéaments dans un Catalogue encore inédit des évêques de Vienne, de saint Crescent à saint Avit, lequel occupe toute une page (folio 323 vo) d’une grande Bible du Xè siècle, provenant de la cathédrale de Vienne et aujourd’hui conservée à la Bibliothèque de Vienne.

Cette notice, rédigée au plus tard à l’époque carlovingienne, a été textuellement reproduite dans un calendrier historique des archevêques de Vienne, dressé vers la fin du XIè siècle. Copié à Vienne en 1662, par le bollandiste Godefroy Henschenius et en 1677 à Grenoble, dans la bibliothèque de Nicolas Chorier, par le bénédictin Claude Estiennot.

Nous classerons immédiatement après deux fragments de la vie de saint Barnard, publiés par Mabillon, d’après un manuscrit d’Ambronay. L’illustre bénédictin, qui les devait au même dom Estiennot, n’en assigne malheureusement point la date ; nous n’oserions pas leur accorder une antiquité trop reculée. Ils prouvent cependant qu’on racontait à Ambronay, au moins vers le XIIè siècle, le martyre de nos saints sous la forme ultérieurement admise de tous, et c’est là un fait significatif si l’on se rappelle que Barnard avait été abbé d’Ambronay avant de devenir archevêque de Vienne.

On remarquera que l’évêque Paschase figure pour la première fois, comme présent à l’invention des trois martyrs, dans le second fragment, lequel copie d’ailleurs littéralement la notice du manuscrit de Berne. Cette addition se heurte à une difficulté réelle, si l’on maintient au commencement du IVè siècle l’épiscopat de Paschase : comment aurait-on déjà dédié une église à saint Romain, qui venait à peine, en 303, de souffrir le martyre à Antioche ?

Touchant la translation des reliques des trois martyrs à Romans-sur-Isère, nous possédons un texte important du IXè siècle : c’est un diplôme émané de l’empereur Lothaire (30 décembre 842 ?), à la demande d’Agilmar, successeur immédiat de Barnard sur le siège de Vienne. Lothaire rapporte que Barnard avait exhumé les corps des saints Séverin, Exupère et Félicien, qui gisaient abandonnés dans un lieu peu convenable, au quartier de Brennier (ou des Brosses), dans un faubourg de la ville de Vienne (nommé Pont-Evêque), et qu’il les avait transférés au monastère récemment fondé par lui à Romans-sur-Isère.

La châsse qui renfermait les reliques fut mise à la place d’honneur dans le sanctuaire même. Là se lisait, comme nous l’apprend le second fragmend de la vie de saint Barnard édité par Mabillon, sur les marbres de l’arcade tumulaire l’inscription commémorative suivante, dès longtemps disparue :

MARTYRIBVS REVERENDA TRIBVS HAEC FVLGVRAT AVLA,
QVORVM CAELESTI SERVANTVR NOMINA LIBRO.
HI DOMINI OB NOMEN FELICI SORTE PEREMPTI,
VRBE VIENNENSI AETHEREAS SVMPSERE CORONAS.
INDE HVC TRANSLATI POST LONGI TEMPORIS ANNOS,
PRAESENTEM INLVSTRANT MERITIS VIVACIBVS AULAM
CONSPICVO IN TEMPLO, PRAEFATAE QVOD PIVS VRBIS
CONDIDIT ANTISTES, TANTOQVE IN HONORE BEAVIT.
SEQVE PIIS SVPPLEX TRADENS IN SAECLA PATRONIS,
HIC VITA EXCESSIT, HIC SACRIS CONDITVR ARVIS.
QVEM SINE FINE TEGENS FOVEAT MISERATIO CHRISTI.
NOMINA SANCTORVM CVPIENS COGNOSCERE, LECTOR,
SCITO SEVERINVM, EXCVPERIVM AC FELICIANVM,
AVCTORIS NOMEN COMMENDANT SCRIPTA SEPVLCHRI.

M. de Terrebasse conjecture avec beaucoup de vraisemblance que cette pièce a été composée vers le milieu du IXè siècle. “Non seulement, dit-il, elle est antérieure à la canonisation de Barnard, mais elle sort évidemment de la plume d’un contemporain, initié à tous les secrets de sa vie et à toutes les agitations de sa conscience. Il n’y est pas question d’un saint, mais d’un prélat se mettant en suppliant sous le patronage de trois illustres martyrs, à côté desquels ses miracles futurs et la vénération des fidèles ne devaient le placer qu’un siècle plus tard.” L’érudit dauphinois se demande ensuite quel est l’auteur de ces vers, et il n’hésite pas à les attribuer à Florus, diacre de l’église de Lyon.

Cependant autour de l’abbaye ne tarda pas à se former un village, un bourg, puis une ville, qui grandit dans le culte de ses glorieux patrons. Nous en trouvons un intéressant témoignage, dès avant 1119, dans l’homélie de Guy de Bourgogne (plus tard Calixte II) qui forme les leçons de l’office de la translation de nos saints. Que sont devenus les nombreux récits auxquels il est fait allusion dans la première leçon de l’octave de leur fête et qui retraçaient leurs héroïques combats ? Leur trace nous est perdue. Mais un monument incomparablement expressif du culte qu’on rendait aux trois Doms, c’est ce Mystère que, nous l’avons vu, on jouait périodiquement. En “mettant sus et ordonnant” un Mystère qui retraçat leur martyre, la cité romanaise reconnaissante s’acquittait de l’acte le plus solennel que l’on connût alors d’une naïve vénération. “En la fin dudit mystère, dit en terminant messire Perrier, furent retournées les châsses des dits corps saints et chefs à ladite église en procession générale, qui là avoient été durant ledit mystère, avec gros cierges, en chantant Te Deum laudanus.”

Hélas ! un jour vint où cette pieuse habitude de porter triomphalement en procession les reliques des trois saints dut mettre au coeur des romanais un regret amer. Le 23 janvier 1524, fête de saint Barnard, la procession accoutumée eut lieu. Quatre jeunes gens portaient la triple châsse (triarcham) qui renfermait les restes des martyrs. Tout à coup, dans la rue Saunerie, entre les maisons du chanoine François Odde et de noble Guillaume Tardivon, disent les livres capitulaires qui n’oublient aucun détail, les jeunes gens, non par malice, mais à bout de forces, laissent tomber à terre leur précieux fardeau, qui se brise en deux parties. Les reliques de la châsse du milieu sont répandues sur le sol, au grand scandale du clergé et de tout le peuple, et il s’en dégage comme un nuage de poussière. On recueille en toute hâte ces saints débris. Le mardi suivant, 26 janvier, on se dirige processionnellement vers le lieu du désastre. Les quatre jeunes gens tiennent chacun à la main, pour réparer leur faute involontaire, un cierge de quatre livres. Enfin, le jeudi, 24 mars, on dépose ce qu’il reste des reliques des trois Doms derrière le grand autel de l’église collégiale, sous la châsse de saint Barnard.

Des jours plus désastreux se levèrent bientôt pour Romans-sur-Isère et les reliques de ces saints : nous voulons parler des guerres dites de religion. Des dépositions recueillies postérieurement de divers témoins, il résulte qu’ “au dessus du grand autel de marbre étoyent trois chasses couvertes d’argent, appelées l’une de saint Barnard, l’autre des trois Doms et l’autre de Saint Anitor ; lesquelles, ajoute l’un d’eux, il a vu plusieurs fois descendre, monter et porter.” Pris en garde par les consuls, le 4 mai 1562, sur l’injonction du seigneur de Triors, Ennemond Odde, les joyaux et reliquaires de Saint-Barnard furent remis, le 12 juin suivant, à André de Morges, commissaire du baron des Adrets, et disparurent à tout jamais.

De Romans-sur-Isère la dévotion envers les protecteurs de cette ville rayonnait sur toute la province du Dauphiné. Vienne surtout était fière de leur avoir donné le jour, et elle leur vouait un culte imprégné d’une spéciale confiance (3). Une preuve qu’au XVIIIè siècle encore Séverin, Exupère et Félicien n’y avaient pas été oubliés, se lit dans Charvet : “On croit, dit le docte archidiacre, que la maison des Saints Martyrs étoit dans le quartier de Saint Martin de Vienne, sur les bords de la Gère, près d’un carrefour qu’on appelle vulgairement la pierre du Bacon. Le Clergé de l’Eglise Cathédrale y fait une station le second jour des Rogations, dans laquelle il chante les grandes litanies des Saints. Le propriétaire, ou celui qui habite la maison, prépare trois couronnes, dont deux sont attachées aux chandeliers des Acolytes, et la troisième au haut de la Croix. Anciennement on faisoit aussi le second jour des Rogations une station à l’Eglise de Saint Romain, et cette pieuse coutume n’a cessé que depuis 1562, tems auquel les Calvinistes la ruinèrent pour la seconde fois ; car elle l’avoit été déjà par les Sarrasins sous le pontificat de Saint Austrobert. Il en reste encore quelques masures.”

Les églises de Valence, Die, Grenoble et Viviers s’étaient de bonne heure unies à celle de Vienne dans un culte commun de nos trois martyrs (4). Par lettre pastorale du 18 août 1782, l’archevêque Jean-Georges Lefranc de Pompignan promulgua, avec le gré de ses suffragants, un nouveau bréviaire pour toute la province ecclésiastique de Vienne. Il parut l’année suivante : l’office des trois Doms y était maintenu à son ancienne date, la légende réduite à une leçon comme dans le bréviaire d’Henri de Villars (1678). La liturgie viennoise a disparu dans le retour à celle de Rome et avec elle, dans le diocèse de Valence auquel appartient la ville de Romans-sur-Isère, en 1852 l’office de Séverin, Exupère et Félicien. Mais un nouvel Officia propria dioecesis Valentinensis approuvé par la Sainte Congrégation des Rites en 1884, les a rétablis (à la date du 28 novembre), avec une légende en trois leçons et des hymnes, qui n’ont, hélas ! rien de particulier, car la première est de Coffin et les deux autres sont de Santeul. Le culte de nos saints martyrs n’est donc pas près de s’éteindre, pas plus que le souvenir de leur mort glorieuse et de leurs bienfaits.

FIN

(1) “Je, mestre Jehan Meysonnier, silleurgent et habitant de la ville de Romans-sur-Isère, confesse avoier receu de messeigneurs les conssez de la ville de R., par les mayns de se Jehan Milliart, resseveur…, trente florins petite monnoye, compté douze s. tourn. pour florin, et ce tant pour quatre moez que j’ay servy ladicte ville du tamps de la peste que je servés lesdis inffés, commansans… le premier jourt de may et fyni le derrier jourt d’oust mil Ve et six, a reyson de six flor. pour ung chescun moes pet. Pon., houltra la despence que la dicte ville a poyé pour moy, et pour deulx moez en suyvant, commansans le premier jourt de septembre et revollu,… le derrier jour doctobre dudit an, a reyson de trois flor. pour ung chescun moes, sans aulcungs despens, pour ce que j’estoie rellaxé et n’estoye en point de besoingnyé de ladicte peste. De laquielle somme… je quicte…, et pour plus de surté j’ey fayctz escripre la present d’autruy mayn et signé de mon seygn manuel yssy mys, ce xijè d’octobre mil sinq cens et six.”

(2) Le compte de la représentation laisserait cependant quelque doute : il y est question de Chevalet en deux endroits : à la date du 25 août 1508, à l’occasion de son voyage à Romans-sur-Isère, le receveur Jean Chonet, l’appelle “mestre Chivallet” ; et le 14 mai suivant, noble Etienne Combez des Coppes, qui lui fut spécialement député à Vienne et qui y passa trois jours auprès de lui, le désigne deux fois sous le nom de Chevallet. C’est à cette dernière autorité que nous nous rangeons, et voici comment on peut, ce semble, expliquer la différence : le receveur écrivait le mot comme il l’entendait généralement prononcer, à une époque où presque tout le monde à Romans-sur-Isère s’exprimait en patois. Dans ce langage, au lieu d’un cheval on disait par corruption un chival ; le peuple romanais, en parlant de maître Chevalet, l’aura probablement appelé “mestre Chivallet” et le marchand Chonet, écho fidèle du public, aura reproduit dans son compte cette locution vicieuse ; mais le sieur des Coppes, noble personnage, en rapports fréquents avec Chevalet, n’a pu se méprendre ainsi, et il a du conserver au nom sa véritable orthographe.

(3) Des reliques de saint Séverin et de saint Exupère – non de saint Félicien – se trouvent à l’église Saint-Maurice de Vienne (ancienne cathédrale), dans le reliquaire en bois doré qui orne la partie droite de l’autel de Saint-Mamert (Recherches sur les précieuses reliques vénérées dans la sainte église de Vienne, par le curé de Saint-Maurice [Robin]; Vienne, 1876).

(4) Nous les trouvons plus anciennement, à la date invariable du 19 novembre : dans un Coutumier de Valence de l’an 1355 environ, dans un Missel de la même église, manuscrit de 1451 donné par Guillaume bâtard de Poitiers, seigneur de Barry et de Soyans, à la chapelle de “Seint Andrieu” de la cathédrale, et dans l’édition de 1504 ; à Die, dans un superbe Missel manuscrit, écrit par le sacristain Etienne Chypre en 1305, et dans les Bréviaire et Missel imprimés en 1498 et 1499 par ordre de Jean d’Epinay ; à Grenoble, dans les deux éditions du Missel (1497 et 1532) ; à Viviers enfin, dans le Missel de 1527. Que leur culte s’étendit à tout le diocèse de Vienne, un Missel de Saint-Sauveur-en-Rue (Loire), de 1450 environ, nous en est la preuve.

(5) Sont exceptés les diocèses de Maurienne et de Genève, situés hors de la France.

Sources : Mystère des trois Doms, joué à Romans-sur-Isère en 1509, documents relatifs aux représentations théâtrales en Dauphiné de 1400 à 1535, par l’abbé Ulysse Chevalier, Romans-sur-Isère, vers 1888.

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