Barthélemy Izier, poète, graveur, peintre et professeur de dessin au Collège et aux écoles laïques de Romans
Au jour de sa naissance, le 7 mars 1833, on peut dire que les Muses, gardiennes des arts dans la mythologie grecque, se sont penchées sur le berceau de ce romanais qui fut poète, graveur, peintre et professeur de dessin au Collège et aux écoles laïques de Romans !
Son père, serrurier-armurier, après l’avoir envoyé pendant quelque temps à l’école, voulut l’initier de bonne heure à son métier. Le jeune Barthélemy s’y montra réfractaire et, sitôt qu’il le pouvait, il délaissait les outils pour s’adonner à la poésie. D’un caractère indépendant et quelque peu bohème, il se pliait difficilement à la monotonie d’une besogne quotidienne et, malgré la sévérité paternelle, il n’hésitait pas, chaque fois que l’occasion s’en présentait, à faire l’école buissonnière. Il avait en horreur tout ce qui sentait le conventionnel et l’on peut dire que ses années d’adolescence se passèrent sur la lisière de la civilisation. Mais il ne fut pas un sauvage mais au contraire, un très joyeux compagnon et le goût de la lecture, qu’il avait fort développé, suppléa à l’absence des leçons.
Bientôt, il fit rimer consciencieusement et fréquemment le vin avec le jus divin et commença à s’imprégner lui-même de son sujet. Malheureusement, plus tard, la “purée septembrale”, comme il l’appelait, tourna à l’extrait d’absinthe. Alors que résidant à Romans, il donnait, à raison de cinq francs le cachet, des leçons de peinture à une jeune fille appartenant à une honorable famille de Valence, il lui arrivait souvent de manquer le train de retour. Quant aux cinq francs, ils étaient invariablement consommés chez un bouilleur de cru de la ville.
Mais sa gaieté, bien qu’un peu batailleuse, était si drôle et émaillée de tant de traits originaux et inattendus, qu’il n’avait pas tardé à devenir le boute-en-train de toutes les réunions. Et s’il lui arrivait parfois d’égratigner, c’était plutôt emporté par la tentation de faire un bon mot que pour le plaisir de blesser.
Ne pouvant vivre exclusivement de poésie, il se fit graveur sur métaux, ouvrit un petit commerce de timbres-cachet, de plaques de voitures et grâce à ses remarquables dispositions pour le dessin, il enjoliva de majuscules fantaisistes et d’arabesques les colliers de toutous qui lui étaient confiés.
Le 23 février 1865, il avait épousé à Tain, Marie Eugénie Eloïse Chuillon, âgée de 25 ans, native de Valence et fille de Jean François Régis Chuillon, légiste, et Marie Magnan.
Lorsqu’il le voulait, ses dessins avaient une grande pureté de contours, témoin la gravure qui illustre la quatrième page du journal Le Guetteur, du 10 mai 1868, signée sous son pseudonyme Croqvif, et qui représente une femme mollement étendue sur un tapis de fleurs pendant que, dans un coin, le petit Cupidon aiguise ses flèches sur la meule de l’amour.
Pendant de nombreuses années, il fut le fournisseur des sociétés carnavalesques de Romans. C’est lui qui confectionnait les pièces théâtrales jouées, sur un char décoré pour la circonstance, le Mardi gras et le lendemain, mercredi des Cendres. Il excellait à écrire des épopées héroïques ou burlesques.
Romans possède un chemin de croix calqué, dit-on, sur celui de Jérusalem. Il fut question d’en doter les stations de tableaux reproduisant fidèlement les divers épisodes du calvaire. A titre d’essai, Barthélemy Izier fut chargé de peindre une descente de croix. Ce tableau orne une des stations du quartier de la Presle. C’est un amalgame de personnages, d’archanges, de séraphins, grouillant dans une débauche de couleurs. Des chérubins, bouffis comme de petits cupidons, exécutent des cabrioles sur les traverses de la croix. Seules, la tête du Christ mourant et celle d’un disciple, remarquables dans leur expression, paraissent avoir été sérieusement étudiées.
En revanche, nous avons de lui une petite toile où l’on voit une gracieuse et charmante tête d’enfant épiant, à travers la vitre, des oiseaux que la neige a poussé à se réfugier sur le rebord de la fenêtre. Le sujet est simple et sans prétention.
L’hospice de Romans possède, peint par Izier, le portrait de Louis Jean François Faisant, un généreux bienfaiteur de caractère un peu bourru qui a laissé, en mourant, 150 000 francs aux pauvres de la ville. Ce portrait laisse beaucoup à désirer sous le rapport de la peinture mais il est ressemblant.
Entre temps, il se délassait du pinceau par le crayon. Il dessinait partout, au champ, dans la ville, dans la rue, au café. A la demande, il vous tirait le portrait. La ressemblance n’était pas garantie mais moyennant un supplément, il vous faisait très joli garçon.
On a pu voir, sur la première page de l’ancien journal Jacquemart, un dessin (voir ci-dessous) représentant le bonhomme au sommet de sa tour, sonnant les heures qui s’envolent sous forme de figures humaines auxquelles Izier avait donné les traits de plusieurs de ses concitoyens qui se reconnaissaient sans peine.
Lorsqu’il fut nommé professeur de dessin au Collège de Romans, il fit une visite à la préfecture de Valence, en tenue officielle, tout de noir habillé, gants, chapeau monté. C’est la seule fois, croyons-nous, ou du moins la première, qu’il endossa la redingote. Le malheureux ne savait pas où mettre ses mains, ses pieds et surtout, son chapeau. Il finit par s’en débarrasser en le plaçant… sur sa tête !
On le vit ensuite tirer le portrait des hommes politiques du moment, qu’il promenait, encadrés, de café en café, mettant celui-ci en loterie, vendant celui-là de gré à gré, et en obtenant un prix d’autant plus élevé que le cadre était soigné.
C’est dans la force de l’âge, à cinquante-neuf ans, le 9 janvier 1892, dans sa maison de la côte Jacquemart, que la mort eut raison de sa constitution encore robuste, minée lentement par l’excès des libations. Quant à sa verve, elle était également émoussée, à ce point que, sur les derniers temps, on disait : “Izier n’est plus qu’une carcasse de feu d’artifice éteint.”
Sources : Archives municipales de Romans-sur-Isère, 22 PER 3, E 50, E 109 – Archives départementales de la Drôme, 2 Mi 1046/R1.